Des frères Saez, c’est le plus jeune, Eric, 21 ans, qui a ramené la Covid à la maison. L’étudiant
longiligne, lunettes rondes et masque descendu sur le menton, sait précisément quand et où il l’a attrapé : le 25 juin, lors d’une fête entre amis dans un appartement de Barcelone. "On venait de finir nos examens, on sortait du confinement, on avait besoin de relâcher la pression", justifie-t-il. Et d’abandonner pendant quelques heures ces satanés gestes barrières. "Je me disais que la crise était derrière nous et que moi jamais je ne l’attraperais", enchaîne-t-il. Ce n’est que le 3 juillet qu’il s’inquiète, quand l’un de ses amis est testé positif.Lui le sera neuf jours plus tard.Dans l’intervalle, il a mené sa vie de d’habitude, bu des verres en terrasse, croisé ses copains. Mais aussi contaminé son frère ainé Edgar, avec qui il partage la chambre au domicile familial, et son père. Tous trois sont asymptomatiques. "Peut-être l’avons-nous transmis sans le savoir", s’interroge, troublé, Edgar. Il a pourtant pris soin d’appeler ses collègues et ses amis avec qui il a passé un week-end alors qu’il était potentiellement infecté. Trop tard sans doute.
Le taux d’incidence en Catalogne est très préoccupant
Voilà comment, un mois seulement après le retour à la "normalité", Barcelone et la Catalogne toute entière, où le coronavirus a déjà tué plus de 12.600 personnes, se retrouvent aujourd’hui confrontées à une nouvelle flambée de cas : près de 10.000 supplémentaires au cours des deux dernières semaines selon les chiffres officiels. Une situation qui a conduit Jean Castex à demander aux Français il y a deux jours, d’éviter tout déplacement vers la région espagnole. Recommandation injuste ont répliqué les autorités régionales qui font valoir un R, le taux de reproduction du virus, identique à celui de l’Hexagone (1,3) et la mise en place de mesures sanitaires plus drastiques que dans la plupart des pays de l’UE.
Il est vrai que depuis le 9 juillet, les autorités régionales ont rendu obligatoire le port du masque dans toutes les rues de Catalogne. Vrai aussi qu’il y a huit jours, elles ont (ré)imposé la fermeture des salles de sport et des cinémas, invité les Barcelonais à se confiner, demandé aux restaurant et bars de réduire le nombre de tables. Vrai également que la capacité des dix plages de la ville, bondées le week-end, a été réduite de 15%.
Les chiffres continuent pourtant de s’affoler. Le taux d’incidence est ainsi, de l’aveu de Javier Llebaria, directeur de l’Agence de santé publique catalane, très préoccupant : 63 cas pour 100.000 habitants dans la communauté autonome, près de 90 à Barcelone. "Et il en augmente de 5 en 5 chaque jour dans la ville", précise-t-il. En France, le seuil d’alerte est atteint à 50 cas pour 100.000 habitants. Cette dégradation a poussé la Generalitat a ordonné vendredi soir de nouvelles restrictions pour une durée de quinze jours. Bars et restaurants doivent désormais fermer à minuit, discothèques et lieux dansants ne plus ouvrir du tout.
La politique erratique des autorités régionales est montrée du doigt
"Les chiffres sont semblables à ceux de mars et avril", affirme le virologue Julià Blanco, qui arrête là la comparaison. "La situation est encore sous contrôle, assure le chercheur. Les hôpitaux ne sont pas saturés. Et les nouveaux cas ne sont pas comme à l’époque des personnes âgées mais des jeunes, souvent asymptomatiques." Il ne s’explique pas néanmoins la localisation de certains foyers. "Pourquoi la banlieue sud de Barcelone est touchée alors que celle au nord l’est moins ? Mystère. C’est sans doute lié aux déplacements de population." "Les contaminations se font le plus souvent lors de rassemblements amicaux ou familiaux", affirme de son côté Laia Bonet, conseillère municipale de Barcelone.
A qui la faute de ce retour de la Covid? Dans le viseur, il y a les jeunes qui, après avoir subi un confinement parmi les plus stricts du monde, se sont affranchis des mesures barrières.
Mais ils ne sont pas les seuls à être tenus pour responsables. La politique erratique des autorités régionales est aussi montrée du doigt. "On a une sensation d’improvisation, regrette Isabel Pérez Espinosa, secrétaire générale des fédérations sportives de Catalogne, qui se bat pour faire rouvrir les salles de sport. Après la fin de l’état d’urgence et la gestion de la crise par Madrid, la Generalitat a voulu reprendre la main très vite. Résultat : on est passé de la phase 3 du déconfinement au retour à la normalité en seulement 24 heures! C’était trop rapide"
Pendant deux mois et jusqu’à début juillet, le poste de secrétaire à la Santé, pourtant stratégique, est aussi resté vacant. Pas idéal en pleine pandémie. A la municipalité de Barcelone, Laia Bonet se plaint aussi d’un manque de coopération et de partage de données. "Faux, réagit Javier Llebaria. D’un point de vue opérationnel, nous travaillons très bien ensemble."
Le manque de tests PCR à grande échelle est reproché au gouvernement régional
Mais c’est surtout, le manque de tests PCR à grande échelle qui est reproché au gouvernement régional. "Il a pris beaucoup de retard dans la mise en œuvre de cette politique pourtant essentielle", regrette Julià Blanco, le virologue. Il aurait commencé à corriger le tir : selon Javier Llebaria, 12.000 à 13.000 tests seraient quotidiennement réalisés en Catalogne chaque jour, dont la moitié à Barcelone. C’était loin d’être le cas au début du mois, quand l’épidémie a rebondi. "Pour y a avoir droit, j’ai dû simuler la maladie, s’énerve Eric, l’étudiant. Et une fois que j’ai été positif, il n’y a pas vraiment eu d’enquête pour retrouver les personnes avec qui j’avais été en contact. En clair, c’est le bordel."
Son frère, lui, en veut surtout à son entreprise. "Quand j’ai su que mon frère était positif, j’ai prévenu ma supérieure. Elle n’en avait rien à foutre et m’a demandé de revenir bosser." Le jeune homme a refusé. "J’avais déjà travaillé plusieurs jours en étant possiblement positif. J’ai juste respecté le protocole pour ne pas infecter mes collègues et les clients. Sauf que maintenant dans ma boîte où on me fait passer pour un fainéant. Tout ce qui les intéresse, c’est le profit. La santé passe après."
Le confinement du printemps a été ravageur
Dans la région la plus riche d’Espagne, l’économie est effectivement sacrée et ses lobbies usent de tout leur poids pour que les affaires repartent et qu’un nouveau confinement ne soit jamais à l’ordre du jour. Celui du printemps a été si ravageur. "Cette année, la croissance catalane devrait chuter de 11%, souligne l’économiste Anton Gasol. En cas de nouveau confinement, ce serait entre 15 et 18%."
Secteur particulièrement frappé : le tourisme, 12,5% du PIB de la région, 15% de celui de Barcelone. Pour qui connaît la ville l’été, elle apparaît méconnaissable. Ainsi, sur la célèbre Rambla, Farul, employé d’un restaurant de fast food, se désespère devant sa vitrine trop pleine de sandwiches et sa terrasse trop vide. "On a rouvert il y a une semaine mais il n’y a pas un client", se lamente-t-il. Non loin, Calle de Los Jovellanos, Chyam Mariani en enrage dans son magasin de souvenirs. "Depuis ce matin, je n’ai fait que 8 euros de vente. En temps normal, c’est 1.500 par jour. Encore un mois comme ça, et je ferme boutique."
Même désoeuvrement du côté des hôtels. "Entre le 1er et le 15 juillet, cela frémissait un peu, nous étions à 15-20% d’occupation. explique Jordi Mestre, président du syndicat hôtelier de Barcelone. Mais depuis la semaine dernière et les annonces de la Generalitat, toutes les réservations ou presque ont été annulées. On peut dire que la saison 2020 est morte." Les recommandations du Premier ministre français ne vont certainement pas arranger les choses : l’année dernière, 4 millions de visiteurs hexagonaux avaient dépensé plus de deux milliards d’euros en Catalogne.
Barcelone traverse l’été dans une langueur inquiète
Commerçants et professionnels du secteur comptent donc plus que jamais sur l’appui des gouvernements régional et national ainsi que sur le plan d’aides européen. La municipalité a de son côté déjà rectifié son budget pour dégager 300 millions d’euros d’aides. "Mais pour tenir, il ne faut pas de deuxième vague sinon on court à la catastrophe", prévient Laia Bonet.
Sur ce point, le virologue Julià Blanco n’est pas vraiment inquiet. "Je ne crois pas à cette deuxième vague mais plutôt avoir une série de vaguelettes comme celle que nous vivons actuellement." Les frères Saez sont moins confiants. "Dimanche dernier, à deux rues d’ici, il y a encore eu une grosse fête dans un appartement", soupire Eric. Pour mesurer les effets des restrictions imposées par la région, il faudra de toute façon attendre au moins fin juillet, début août. "Si d’aventure les chiffres ne redescendent pas, nous avons sur la table un plan avec de nouvelle restrictions", avance Javier Llebaria.
En attendant, Barcelone traverse l’été dans cette langueur inquiète. Retrouvera-t-elle un jour son énergie légendaire? A voir le spectacle qui se jouait vendredi soir au Camp Nou, elle semble ne pas l’avoir tout à fait quitté. Le mythique stade du Barça accueillait l’un des concerts du Festival la Cruilla. Covid oblige, l’événement s’étale cette année non pas sur trois jours mais sur un mois et investit des lieux assez grands pour permettre la distanciation sociale.
"Il n’y a que comme cela, en respectant les mesures de sécurité et en se réinventant que la culture pourra survivre, martèle le directeur du festival, Jordi Herreruela. Et puis ce concert dans un lieu aussi immense, c’est aussi donner un message d’espoir, affirmer qu’on est encore en vie." 800 privilégiés ont ainsi pu danser sur la musique du groupe de flamenco électro, Fuel Fandango. Et croire peut-être, le temps d’une soirée, aux paroles de Primavera, l’un de leurs titres, dont le refrain dit ceci : "Quand tu n’as rien à perdre/Tu mènes une vie que tu n’as pas choisie/La peur s’évanouit à jamais, à jamais, à jamais."
Par leJDD.fr
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