Le président américain a été mis en accusation pour «abus de pouvoir» et «entrave au travail du Congrès». En meeting dans le Michigan, il a laissé éclater sa colère.
La petite fenêtre est apparue vers 19h15 dans le coin droit de l’écran de Fox News entièrement occupé jusqu’alors par la retransmission de la procédure d’impeachment de Donald Trump. L’image principale, l’assemblée de costumes anthracites de la Chambre des représentants, dévolue depuis 9 heures du matin aux débats houleux sur le sort du président, est soudain trouée par la marée de casquettes rouge «Make America Great Again». Donald Trump va entamer dans quelques minutes un meeting à Battle Creek, Michigan, un comté col bleu qui lui a assuré sa victoire dans cet Etat en 2016.
A Washington, Steny Hoyer, leader de la majorité démocrate de la Chambre, exhorte gravement ses collègues de l’autre camp à «sonder leur âme», à se voir «comme Américains et non plus seulement comme républicains» pour admettre au moins la faute du président, rappelant les actes de courage du «parti de Lincoln» contre le Maccarthysme et contre Richard Nixon en 1974.
Journée folle et solennelle
Au même instant, à mille kilomètres de là, le vice-Président Mike Pence chauffe la salle en vantant le bilan «glorieux» de l’administration Trump, des jobs par centaines de milliers, des frontières plus sûres que jamais, et la mort récente d’Al-Baghdadi, chef de Daech, sans oublier de rendre hommage à Conan, le chien des forces spéciales utilisé dans l’opération et invité à la Maison Blanche en octobre. Un show trumpien comme tant d’autres, organisé au moment même où le Président s’apprête à entrer dans l’histoire comme le troisième président soumis à l’infamie de l’impeachment depuis la naissance des Etats-Unis.
Durant cette journée à la fois folle et solennelle, des élus républicains ont comparé le sort de Donald Trump à celui de Jésus devant Ponce Pilate, évoqué comme lui le procès des sorcières de Salem et même déploré un nouveau «jour d’infamie digne de Pearl Harbor» ; mais Kevin McCarthy, leader des pro-Trump de la Chambre, achève les plaidoiries républicaines sur un ton de défiance ulcérée, assurant devoir «rappeler avec ménagement aux démocrates que Donald Trump a bien été élu Président des Etats-Unis», s’insurgeant contre «une manœuvre destinée à annuler le vote légitime du peuple américain trois ans plus tôt.»
C’est à cet instant, alors que les premiers votes sont comptés au Congrès, que Donald Trump apparaît, arpentant la scène pendant de longues minutes au son de God Bless the USA, l’hymne rock de ses meetings. Le président a depuis l’aube décoché une quarantaine de tweets mêlant protestations d’innocence et feinte indifférence à l’égard d’une procédure «qui pourrait l’avantager politiquement».
Devant la foule de ses supporters, il semble toutefois hésiter entre les genres, entame son discours par les habituels satisfecit de son administration, fait applaudir par ses fans cols bleus la hausse mirifique des cours de Wall Street, invente des milliards d’investissements dans l’automobile, le nerf de la guerre du Michigan, et vante, comme à son habitude et contre toute réalité, les excellentes assurances santé privées dont bénéficient ses veinards d’électeurs.
«Impeachment light»
Mais il ne peut éviter d’aborder le sujet qui le brûle, un vote d’impeachment dont on lui crie le résultat pendant sa harangue. «L’époque de Nixon était une période sombre, commente-t-il. Mais regardez-moi, j’ai l’impression de toujours bien m’amuser.» C’est de «l’impeachment light, sans grande importance» poursuit-il, non sans ajouter, visage tendu : «soit, je suis le troisième à qui cela arrive, et cela restera dans mes états de service.» Alors que sur la chaîne MSNBC, les commentateurs politiques prédisent déjà que l’impeachment ornera certainement les premières lignes de sa nécrologie, Trump n’est pas dupe du désastre que représente ce 18 décembre pour sa postérité. Et sa colère monte.
Le président des Etats-Unis récite verbatim, de mémoire, des passages outrés de la lettre de six pages, rageuse, décousue et bourrée d’erreur, qu’il a adressé la veille à tout le Congrès, assortis de cartes de vœux, dans laquelle il accuse les démocrates de violer la Constitution et Nancy Pelosi, présidente de la Chambre, d’abus de pouvoir passible de destitution. Il dénonce la «gauche radicale» d’être rongée par «l’envie et la haine».
Sur scène, il convoque un allié invisible, le président ukrainien Zelensky qui «a juré n’avoir subi aucune pression de sa part», ergote sur les propos tenus pendant sa conversation téléphonique avec ce dernier («J’ai dit pouvez-vous NOUS rendre un service, à NOUS les Américains, pas ME rendre un service», clame-t-il). Avant de repartir à l’assaut des démocrates, «partisans des frontières ouvertes et du crime, favorables aux avortements tardifs où l’on arrache des bébés du ventre de leurs mères juste avant la naissance…»
Colère froide
Trump peut légitimement arguer que l’affront de la Chambre des Représentants dope ses soutiens politiques : ses levées de fonds ont été multipliées par six depuis la fin novembre, sa cote de popularité augmente auprès des électeurs indépendants, à 45% défavorables à l’impeachment, et le parti républicain est plus uni que jamais autour de lui. Mais le déshonneur lui pèse.
En fin de discours, alors qu’à Washington, mine grave et épuisée, la direction démocrate de la Chambre, Nancy Pelosi en tête, reste évasive sur la suite de la procédure en vue du prochain procès en destitution par le Sénat, Trump, au micro, se répand en colère froide contre une élue démocrate du Michigan, Debbie Dingell, coupable d’avoir voté l’impeachment. En février, la Maison Blanche avait offert des funérailles officielles à son mari, représentant démocrate unanimement respecté de cet Etat, et Trump ne peut supporter une telle ingratitude. «Il nous regarde de là-haut, grince-t-il. A moins que ce soit d’en bas.»
Philippe Coste
Par Liberation
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