Cher Alain Foka, je n’ai plus écrit comme ceci il y a belle lurette. Mais pour toi j’ai tenu à le faire.
Je t’écris ce texte parce que je suis fier qu’enfin tu as eu le courage de t’assumer et plus précisément de clarifier ton soutien au dictateur genocidaire au pouvoir depuis 37 ans au Cameroun, Paul Biya. Je te félicite pour cet audace.
Tu te rends certainement compte que ces moments où les jeunes camerounais inconscients tenaient à te saluer, à rire avec toi, à te féliciter lors de tes passages au Cameroun sont finis. Ou du moins ils ont diminué.
J’en faisait partie. jeune étudiant à l’université de Yaoundé 1. Nous étions fier d’avoir un compatriote qui parlait de l’Afrique et à travers ses émissions, avec une intelligence subtile, critiquait les gouvernements africains. Il dénonçait La corruption, la pauvreté, le sous développement, les conflits. Il faisait du journalisme et revendiquait ce statut de journaliste.
Je me souviens encore de ces émissions: “ le débat africain “ que nous écoutions chaque matin avec mes camarades de ma mini-cite à la fac de Ngoa Ekelle. C’était un rituel tous les dimanches et nous en débattions parfois jusqu’à 12h sans avoir mangé. Puis il y avait Archives d’Afrique. Ohh la memoire, essentielle pour savoir où on va et qui l’on veut être. Étudiant en histoire, j’étais un passionné ce programme.
Mais progressivement l’eau coula sous les ponts et tu finiras par t’embourgeoiser comme beaucoup de journalistes africains qui d’un jour à l’autre prennent de l’influence dans l’espace public. Tu changeas. Tes émissions ont pris l’allure d’un savant dosage d’équilibrisme où les acteurs les plus acerbes contre les tyrannies étaient régulièrement interrompus ou recadrés. Mais l’apothéose c’est sur le cas du Cameroun qui est en réalité l’objet de mon interpellation.
Je ne te manquerai pas de respect. Je peux te manquer de respect, mais je ne le ferai pas.Il y a quelques temps nous t’avons interpellé sur ton silence par rapport à la situation au Cameroun. Pas d’émissions sur le genocide dans la zone anglophone, rien sur la détention arbitraire de Maurice Kamto, les membres de la coalition et 500 prisonniers politiques, silence absolu sur la traque au faciès, sur les tortures et les violations des droits de l’homme. Pour résumer, tu as abandonné la lutte la démocratie.
Hier, j’ai pris connaissance de ta réaction dans une radio locale où tu dis: “ Je sais que tous les Camerounais enfin ceux qui s’agitent sur les réseaux sociaux voudraient que je parle de ce qui se passe ici. Moi je suis journaliste. Je ne suis pas militant ou autre. Ce qui se passe ici m’attriste évidemment en tant que Camerounais mais ça ne m’éloigne pas de mon métier de journaliste. Je dis les choses, je dirai toujours les choses mais prendre parti je n’ai pas envie de prendre parti ».
Il y a dans cet extrait deux ordres de discours. Le premier relève du fait que tu traites ceux qui regrettent ton mutisme d’agités des réseaux sociaux. On peut déceler dans ce propos un mépris de classe. Un journaliste ne vaut rien sans audimat. Dès le moment où on cesse de respecter les auditeurs, on perd ceux pour qui le journaliste prétend travailler. A ce moment on travaille pour d’autres intérêts. Mais plus pour la defense des intérêts des masses. Car le journalisme est en démocratie un contre pouvoir. C’est à dire dun point de vue théorique un pouvoir destiné à protéger le peuple contre les puissants.
Mais il y a également dans ta qualification “ d’agités des réseaux sociaux “ une certaine forme d’inculture lié à ton embourgeoisement. Et je peux le comprendre. Les réseaux sociaux sont aujourd’hui des outils de fabrication des opinions publiques, de construction des représentations politiques et un terrain de lutte d’influence politique. Ce n’est pas pour rien que Donal Trump communique directement sur les réseaux sociaux et qu’un juge américain l’a interdit de bloquer ses followers sur Twitter. Mark Zukerberg est aujourd’hui sous surveillance des parlementaires américains parce que Facebook peut changer le déroulement d’une élection.
Tous les hommes puissants communiquent sur les réseaux sociaux parce qu’en ce début du 21eme siècle c’est là que ce jour une partie des luttes politiques. Nous ne sommes pas des agités mais des citoyens à part entière de l’ère du numérique. Ton propos traduit cet archaïsme intellectuel d’une génération vieillissante en Afrique qui refuse de comprendre que le monde a changé et que les jeunes africains ne sont pas tous des sauvages mais des acteurs de leur temps.
Le deuxième point est le fait que tu prétends te cacher derrière le journalisme pour masquer ton soutien à l’une des dictatures les plus sauvages du monde. On ne te demande pas de prendre position sur la situation au Cameroun, mais de dénoncer le genocide dans la zone anglophone, les crimes contre l’humanité, les violations des droits de l’homme, les détentions arbitraires, les tortures. Qu’est-ce qu’un journaliste si ce n’est un défenseur des libertés et la démocratie?
Il n’y a que les soutiens des tyrannies africaines pour prétendre que le journalisme est un métier neutre. Il n’y a pas de neutralité en journalisme et je te parle cette fois ci avec autorité de ma posture de criminologue. Les médias sont toujours au service des intérêts et d’une idéologie. Ils se situent toujours soit dans le camp des justes ou des méchants et vraisemblablement tu as choisi le camp des méchants. C’est à pa rôtir d’un média que le Général De Gaulle lança l’appel de Londres pour amener les alliés à se battre contre le genocidaire Hitler. Prétendre que tu es journaliste pour te taire sur les crimes du genocidaire Paul Biya n’est pas seulement une infantilisation des camerounais, mais une propre méconnaissance de ta place dans a société.
Je n’irai pas plus loin, mais je t’inviterai à te poser cette question: qu’est-ce que la majorité des camerounais retiendra de moi? Pour l’instant l’image d’un homme aimé par le passé mais qui aux heures les plus sombres de son pays a choisi de protéger des g end qui tuent, torturent et emprisonnent en toute impunité. C’est triste Hélas.
Bon week-end. Fraternellement.
BORIS BERTOLT
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