Les leaders des Etats-Unis et de la Corée du nord se retrouvent à Singapour pour une rencontre
inédite. Tout est possibleDonald Trump est arrivé dimanche 10 juin au soir à Singapour, quelques heures après Kim Jong-un. Le président des Etats-Unis et le dirigeant de la Corée du nord sont réunis pour un sommet qui s'annonce historique, quelle que soit son issue : c'est la première fois qu'un président des Etats-Unis en exercice rencontre un dirigeant de la Corée du nord.
Les deux hommes ont rendez-vous mardi à 9 heures locales (3 heures du matin, en France) au Capella, l'un des palaces les plus luxueux de Singapour.
Depuis l'armistice qui marqua la fin des hostilités de la guerre de Corée, en 1953, Pyongyang est le plus vieil ennemi de Washington. Il y a quelques mois, les deux leaders échangeaient insultes et menaces. La simple tenue de la rencontre, dont le principe a été accepté en mars dernier par Donald Trump, à la surprise générale, représente une victoire symbolique de taille pour Kim Jong-un.
"Les gens parlent d'un sommet historique (...) Mais il est important de garder à l'esprit que ce sommet était possible pour tout président américain qui aurait souhaité le faire et qu'aucun ne l'a souhaité, pour de bonnes raisons", souligne auprès de l'Agence France-Presse Christopher Hill, ancien négociateur américain sur le dossier.
La "première minute" décisive de Trump...
De fait, jusqu'à présent, une rencontre entre les leaders des deux pays devait venir couronner, en toute logique, une longue série de négociations, directes ou indirectes, menées en coulisses par les diplomates des deux pays. Mais Donald Trump ne fait guère confiance à ses propres émissaires et préfère négocier lui-même, à l'instinct, comme il l'a expliqué samedi 9 mai : "Combien de temps faudra-t-il pour voir si [les Nord-coréens] sont sérieux ou non ? Je pense peut-être dès la première minute. C'est ma touche personnelle, mon sentiment. C'est ce que je fais."
Lors de son passage mouvementé au Canada, pour le sommet du G7, vendredi et samedi, le caractère instinctif du président des Etats-Unis n'a échappé à personne. A l'issue de la rencontre, il a copieusement insulté son hôte, Justin Trudeau, premier ministre du Canada, qualifié de "malhonnête et faible". Il a surtout torpillé d'un tweet rageur le texte de compromis négocié de haute lutte avec ses plus vieux alliés, dont la France, avant de les menacer de nouvelles taxes douanières.
"L'incohérence" et "l'inconsistance" du président américain, dénoncées dimanche par l'Elysée, incitent à la prudence quant aux chances de réussite du sommet de Singapour. Il y a six semaines, Donald Trump prédisait le retour de la paix sur la péninsule coréenne, ce qui avait amené ses admirateurs à déclencher une campagne pour lui décerner le prix Nobel de la paix.
Samedi, à trois jours de sa rencontre avec Kim Jong-Un, le président des Etats-Unis semblait faire de son mieux pour tempérer les attentes, au point d'exprimer la possibilité que le sommet ne débouche sur rien : "Qui sait? Cela ne marchera peut-être pas. Il y a une forte chance que cela ne marche pas. Et une chance plus forte que cela prenne un certain temps. Ce sera un processus".
Deux personnages imprévisibles
Sa stratégie de négociation suscite beaucoup d'interrogations, depuis qu'il a expliqué n'avoir pas grand besoin de se préparer : "C'est d'abord une question d'état d'esprit, de volonté de faire avancer les choses", a-t-il dit le 7 juin dernier.
La personnalité insondable de Kim Jong Un, dont on ignore jusqu'à la date naissance précise, ajoute au mystère et au caractère imprévisible de la rencontre. L'héritier de la dynastie des Kim dirige l'un des régimes les plus isolés et les plus cruels de la planète. Il n'a jamais participé à des négociations bilatérales avec une puissance du rang des Etats-Unis, hormis ses rencontres avec le numéro un chinois Xi Jinping et le président sud-coréen Moon Jae-in.
"Gâteux américain malade mental"
Face à Donald Trump, qu'il a qualifié de "gâteux américain malade mental", le maître de Pyongyang, trentenaire, sera-t-il prêt à abandonner le programme nucléaire qu'il n'a cessé de présenter comme le gage de la survie de son régime? C'est peu probable.
L'arsenal nucléaire nord-coréen sera au coeur des débats. Celui-ci a valu à Pyongyang une longue série de sanctions de l'ONU au fil des ans. Le programme nord-coréen est au centre de négociations entre les deux pays depuis 1992, sous le règne de Kim Il-sung, le grand-père du dirigeant actuel. Depuis lors, les deux partis s'accusent de mauvaise foi et ont sans doute, l'un et l'autre, une part de responsabilité dans l'échec des discussions.
Ce rendez-vous, le premier entre les leaders des deux pays, sera-t-il le bon ? Pas sûr. Car les termes de la discussion eux-mêmes sont soumis à interprétation... Là où Washington réclame une dénucléarisation "complète, vérifiable et irréversible" de la Corée du Nord, Pyongyang appelle de ses voeux une "dénucléarisation de la péninsule". Une formule si vague qu'elle laisse la place à toutes les interprétations.
En gage de bonne volonté, la Corée du nord a annoncé, le 12 mai, le démantèlement de son centre d'essai nucléaire de Punggye-ri, dans le nord-est du pays. Mais la portée de ce geste est limitée : après six essais, le site était devenu instable et inutilisable. Situé à proximité de la frontière chinoise, il suscitait l'inquiétude de Pékin. Surtout, les installations liées au programme nucléaire nord-coréen sont nombreuses et mal connues.
Nul doute que Pyongyang, encouragée par la Chine, réclamera un retrait partiel et préalable des quelque 28000 troupes américaines stationnées en Corée du sud. Au désespoir de ses conseillers du Pentagone et de ses alliés japonais et sud-coréens, Trump pourrait prêter une oreille favorable à une telle requête.
Un accord de principe pour mettre fin à la guerre de Corée n'est pas exclu. La guerre de 1950-1953 avait été conclue avec un armistice et non par un traité de paix : Nord et Sud sont donc techniquement toujours en guerre.
Une île au nom malheureux
En attendant l'issue du sommet, la planète entière a les yeux rivés sur Singapour. La cité-Etat accueille régulièrement les navires de la marine américaine et les deux armées s'entraînent ensemble. Elle a aussi des relations approfondies avec la République populaire démocratique de Corée. Pour autant, certains spécialistes ont été surpris par le choix de l'île Sentosa pour le sommet.
Ce site touristique est relié au reste de Singapour par un pont, un monorail et un téléphérique. Selon The Economist, l'hebdomadaire britannique de référence, le nom de Sentosa serait d'origine malaise et signifie la "paix" ou la "tranquillité". Mais le patronyme n'a été attribué au lieu qu'en 1972, avec l'aide de l'office de tourisme de Singapour. Auparavant, l'île était connue sous le nom de "Pulau Blakang Mati", "l'île où la mort vient de derrière". Voilà qui promet.
Marc Epstein
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