1er OCTOBRE : NOTRE PATRIMOINE COMMUN, UNE OPPORTUNITÉ DE
RÉCONCILIATIONConnaître le Cameroun, ce n’est pas vivre à Yaoundé, Douala ou Bamenda, et n’en jamais sortir sinon pour aller à Paris ou à New York. Avoir le droit d’opiner avec quelque raison sur les questions camerounaises demande à s’être imprégné au préalable de la diversité du terroir et de ses populations.
Parcourir les quatre coins du Cameroun pour réaliser des films m’a été à cet égard très salutaire, pour apprécier les conditions des uns et des autres, outre que j’ai commencé ma vie dans l’Adamaoua pour la poursuivre par le Centre. L’élite camerounaise, intellectuelle, politique ou des affaires n’a pas toujours eu ce privilège, et cela peut expliquer qu’elle ne puisse pas se mettre dans la peau de quelque minorité. Le long déni d’une question anglophone au Cameroun, déni désormais et heureusement dépassé mais hautement préjudiciable car tout ce qui se passe aujourd’hui eût été prévisible, vient en droite ligne de cette méconnaissance du réel national.
En 1991 et 1992 déjà, j’écrivais sur « la question anglophone au Cameroun » dans deux numéros de la revue A’mandla. Je venais de fréquenter quelques temps le nord ouest pour une série de films, et je m’étais rendu compte qu’une partie de notre peuple subissait une sorte de diktat inconscient de l’élite francophone, avec la complicité d’une élite anglophone régentée, même malgré elle . C’est pourquoi il n’est pas totalement juste que dans les récriminations des porte-voix des anglophones aujourd’hui, leurs élites d’antan soient totalement absoutes de toute responsabilité dans ce qui nous arrive. Tous ceux qui accédèrent au pouvoir en 1960 et 1961, ou presque, sont coresponsables de la tournure prise par les événements.
Le drame originel de 1960 vient de ce que ceux qui avaient vraiment milité en vue de la réunification puis de l’indépendance de notre pays (l’ordre des choses étant essentiel : réunification puis indépendance), avaient été purement et simplement éliminés de la gestion des affaires et leurs partis dissouts, au moins formellement et officiellement. Ils savaient qu’il n’y aurait pas d’indépendance réelle de l’un sans l’autre, et donc que la réunification devait précéder l’accession à une indépendance véritable pour qu’elle fût partagée dans les consciences. La décision pensée des colons d’en faire à leur bon vouloir et dans le sens de leurs intérêts nous conduit 60 ans plus tard à la crise que nous vivons.
*Les occasions manquées d’une vraie décentralisation*
Des années et des tribulations plus tard, la Constitution de 1996 en consacrant en son article 1er le caractère à la fois unitaire et décentralisé de l'État du Cameroun, dessinait les contours de la résolution de plusieurs des questions que pose aujourd’hui la minorité anglophone, comme demain peut-être celle de l’Est du pays, dès que l’on aura trouvé beaucoup plus d’or dans son sous sol.
Car si cela n’est pas mis en exergue dans le discours actuel, le pétrole du sud ouest a certainement engendré des projets divers dans l’imaginaire de quelques citoyens, et éventuellement de quelques intéressés non camerounais, sans qu’il faille céder à la théorie d’un complot venu de l’extérieur. C’est en effet aux alentours de la découverte de gisements pétroliers au large de la Côte anglophone camerounaise que remontent les premières velléités séparatistes de la zone anglophone.
La constitution de 1996 aurait donc pu, si elle avait été entièrement mise en œuvre, servir de remède au mal de la minorité anglophone, ou au moins servir de soupape au dégagement de ressentiments régionalistes. Au lieu de quoi tout le monde s’est satisfait de la nomination d’un premier ministre anglophone, ainsi que de quelques Directeurs Généraux ou plus généralement de quelques Directeurs Généraux Adjoints originaires du Nord-ouest et du Sud-ouest, et l’on est passé à autre chose.
*Le 20 mai : date anniversaire de Germaine Ahidjo ?*
Lors des 20 ans de « la fête de l’Etat unitaire », je m’interrogeais toujours dans A’mandla sur le vide de la portée émotive et historique de la date du 20 mai qui se célébrait depuis 20 ans. Beaucoup n’ont retenu de cet article que mon insinuation que le 20 mai correspondait étrangement à la date anniversaire de Germaine Ahidjo. Le 20 mai est de ces fêtes nationales africaines décrétées qui ne suscitent chez le citoyen rien de particulier, qui ne se rattachent à aucun fait d’armes, à moins que l’on veuille considérer un référendum où le vote était acquis à pratiquement 100% au regard de son organisation, comme une prouesse.
Lorsque Paul Biya se brouilla avec Ahmadou Ahidjo, de nombreux camerounais pensèrent que cette dégradation de leurs relations personnelles permettrait de barrer cette date sans portée historique, pour en choisir une de plus mobilisatrice, de plus justifiée, qui en tous cas conduirait à une autre lecture de l’histoire du Cameroun. Dans cette éventualité, restaient deux dates possibles : le 1er janvier 1960 et le 1er octobre 1961. Or si le 1er janvier fut certes la résultante d’une longue lutte courageuse et victorieuse du nationalisme camerounais sur les forces coloniales, cette date unilatéralement décrétée par le colon était vidée de tout potentiel historique.
Une partie du Cameroun accédait ainsi à une forme d’indépendance, pendant que l’autre, celle où continuait à se battre le One Kamerun party lui aussi déjà interdit, était encore dans la dépendance. Il faudra attendre le 1er Octobre 1961, après un référendum qui fit perdre au Cameroun une partie de son territoire et de sa population, fondant une journée du « deuil national » le 11 février, jour de tenue du référendum, pour que survienne la vraie fête. Pourquoi Ahidjo gomme-t-il d’ailleurs ce jour de deuil pour le remplacer par une « fête de la jeunesse » ? Il doit y avoir derrière un projet de réécriture de l’histoire.
*Le 1er octobre : notre patrimoine commun*
Mais pour en revenir au 1er Octobre, c’est le jour où le Cameroun tel qu’il est aujourd’hui accède enfin à l’indépendance de tout son territoire, à son indépendance tout court. Ce 1er Octobre, jour des retrouvailles des parties dites anglophone et francophone, est pour ainsi dire une date commune à tous les Camerounais, aboutissement des rêves des patriotes et de la majorité des Camerounais, réalisée par un gouvernement qui eut parfois l’intelligence de reprendre aux nationalistes certains de leurs projets. Dès lors, personne ni aucun groupe ne peut confisquer cette date, et personne ni aucun groupe ne peut l’ignorer.
Face à la crise qui secoue le pays, les mesures à prendre pour régler la situation sont nombreuses. Il y a celle, plus fondamentale, qui demande que soit écrite une fois pour toutes la belle histoire du Cameroun pour les générations futures, ce pays qui ne fut pas découvert en 1472, gros abus de langage qui cependant forge les mentalités dans un sens voulu, ce pays à qui on ne donna pas son indépendance en 1960 mais qui l’obtint par la lutte, qui ne se reconnait pas dans la date du 20 mai comme jour de fête nationale, qui a connu d’un bout à l’autre les affres de la déportation à Bimbia, la brûlure de la chicote sur les chantiers du chemin de fer à Njock, les mouvements de populations à la suite des représailles de 1955, tous éléments parmi des milliers qui nous rapprochent les uns des autres, qui relient Buea à N’gaoundéré, et qui relèguent à l’arrière plan les contingences de l’histoire qui font qu’un camerounais naît d’expression francophone ou anglophone, musulman, chrétien ou animiste, aberration de l’histoire qui nous vaut depuis plusieurs années une guerre contre des forces terroristes, mais qu’il est d’abord camerounais.
Mais il y a aussi certaines, liées à l’instant, comme la libération de tous les prisonniers politiques de cette crise, action déjà commencée mais qui mériterait qu’elle aille jusqu’au bout par la libération de tout le monde, comme la forte décentralisation effective du territoire dans ses dix fédérations qui ne demandent en réalité pour leur érection que la mise en place des assemblées régionales déjà prévues par la constitution.
La crise de 2017 est l’une de graves conséquences du jeu que nous avons longtemps eu avec notre histoire : on a voulu écrire une histoire du Cameroun qui ne repose sur rien, qui présente deux peuples coexistant, alors que nous ne sommes qu’un, ainsi que le montrera un prochain article, séparé en deux par les hasards des décisions d’une Société des Nations colonialiste et de la défaite allemande.
Le 1er Octobre nous réunit donc tous autant que nous sommes Camerounais, de Kousséri à Cap Limbo, de Kumbo à Yokadouma, et nous devrons donc tous le fêter, comme la véritable date de libération et d’indépendance du Cameroun dès lors qu’on est d’avis que le 20 mai ne renvoie à rien, enlevant aux uns la prétention d’en faire une propriété (le 1er Octobre n’est pas un bien anglophone), et aux autres celle de considérer le 1er janvier, partiel et partial, comme valable pour tous les Camerounais.
BASSECK BA KOBHIO -Cinéaste
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