Loading...

Ils ont préféré le chômage au travail, le temps de redonner du sens à leur vie

 Ils ont préféré le chômage au travail, le temps de redonner du sens à leur vie 
Ils ont quitté un CDI, n'ont pas voulu renouveler un CDD ou ont préféré faire une pause après une alternance. Certains jeunes s'octroient volontairement une période de chômage en guise de respiration pour faire le point sur leurs aspirations, s'engager bénévolement, voyager…

Il y a quatre ans, Romain* décroche un CDI qui lui paraît stimulant. Son poste : technicien dans une entreprise de l'aéronautique, de la défense et du nucléaire. Un emploi en lien avec ses études. Très vite, il se rend compte que ce job ne le fait pas vibrer. « J'ai compris que j'avais besoin d'un métier en extérieur, relate le jeune homme de 26 ans. Et ma mission n'était pas en accord avec mes convictions : je planchais entre autres sur du matériel utilisé par l'armée, sur des chars. » Il a aussi le sentiment d'être sous-payé par rapport aux tâches qui lui sont confiées.

Après trois ans de bons et loyaux services, il décide de partir. Non pas pour rejoindre un autre employeur, mais pour être au chômage. A ce moment-là, Romain a l'impression de s'être trompé dans son orientation. Un temps d'introspection lui semble bienvenu. Pour ce faire, il demande une rupture conventionnelle à son employeur. Demande refusée. Il opte donc pour l'abandon de poste, qui débouche sur un licenciement lui ouvrant droit aux indemnités chômage. Au programme : du temps avec ses proches et un tour d'Europe à vélo.

Un premier job éreintant

Comme lui, Manon*, 26 ans, est volontairement au chômage. En septembre 2019, la jeune femme sort « vidée » de sa première expérience professionnelle. Après un stage dans une grande entreprise, elle a enchaîné dans cette même boîte avec un contrat d'un an en alternance. Elle y travaillait en tant que chargée de publicité. Cet emploi, elle l'a trouvé « challengeant et intéressant » mais « stressant » et éreintant. Entre journées à rallonge et deadlines serrées, elle avait l'impression de courir après le temps. Sa vie se résumait littéralement à « métro-boulot-dodo ».

A la fin de son alternance, Manon n'a pas été prolongée dans l'entreprise qui l'employait. Plutôt que d'envoyer pléthore de CV, elle a préféré s'accorder un an de répit. « Je ne me sentais pas prête à retourner au travail, confie-t-elle. Lors de mes études en communication, j'avais toujours fait des stages ou des jobs d'été pendant mes vacances. J'avais besoin de recharger mes batteries, de prendre du temps pour moi. »

Guillaume*, 27 ans, a lui aussi décidé de s'octroyer une année sans activité professionnelle. Lui était collaborateur d'un maire. « Une expérience passionnante », dit-il. En juin 2020, l'édile pour qui il exerçait depuis trois ans est réélu. Ce dernier lui propose de rempiler à ses côtés pour ce nouveau mandat. Mais le jeune homme est épuisé, physiquement et psychologiquement. A l'époque, il mène un quotidien à 100 % à l'heure, entre réunions publiques le soir et distributions de tracts le week-end.

Il se sent aussi « un peu désillusionné » par ce job un brin « ingrat ». « En politique locale, on est le réceptacle de la colère des habitants, même pour des questions qui se jouent au niveau national », raconte-t-il.

Alors, il préfère décliner. Sa période de chômage commence en novembre, après un dernier CDD pour préparer la transition entre les équipes. Ses objectifs depuis : « Reprendre des forces, être utile à la société, réfléchir à quel sens donner à ma vie professionnelle et explorer le champ des possibles. »

Une période constructive

Pour lui, pas question que le chômage soit synonyme d'oisiveté. Très vite, il s'engage bénévolement auprès de Médecins du Monde, d'Emmaüs et participe à la vie de son quartier. Aussi, pendant deux mois, il enfourche son vélo et parcourt 800 km dans le Sud de la France. Un voyage durant lequel il séjourne auprès de maraîchers et d'agriculteurs. Et puis, il dévore des livres, une passion qu'il avait mise de côté faute de temps, et rend régulièrement visite à sa grand-mère âgée.

Quant à Manon, qui profite de sa période de chômage pour se ressourcer auprès de ses proches, avec qui elle avait passé peu de temps lors de ses études. Elle renoue aussi avec sa passion pour les loisirs créatifs comme la peinture, le tricot et la couture.

Pas de contrôle de Pôle emploi

Tous trois touchent chaque mois des allocations de Pôle emploi. Pour y prétendre, il faut avoir travaillé au moins 88 jours (environ quatre mois) sur les 24 mois qui précèdent la période de chômage. La durée d'indemnisation est proportionnelle au temps travaillé : plus celui-ci est long, plus l'indemnité est longue (celle-ci ne peut toutefois excéder deux ans consécutifs pour les moins de 53 ans).

A priori, Guillaume n'utilisera pas la totalité de ces deux ans, d'autant que l'indemnité est naturellement moindre que son précédent salaire. Elle varie selon le salaire perçu par le passé. Un salarié payé 2.500 euros par mois percevra par exemple une allocation d'environ 1.300 euros net. En juin 2020, Pôle emploi dénombrait un peu plus de 2.800.000 bénéficiaires de l'assurance chômage. Montant mensuel brut moyen de l'indemnité : 1.378 euros (pour ceux qui travaillaient à temps complet).

Guillaume et Romain perçoivent des allocations supérieures au Smic (1.231 euros net par mois). Manon, qui habite chez ses parents, touche, elle, environ 900 euros net par mois. Au chômage depuis au moins huit mois, tous trois n'ont envoyé aucune candidature. Sur le papier pourtant, les demandeurs d'emploi doivent accomplir des démarches effectives et régulières de recherche d'emploi ou se mobiliser en vue de créer ou reprendre une entreprise.

Des conseillers Pôle emploi les ont bien appelés deux ou trois fois pour faire le point sur leur situation mais tous trois se sont contentés de dire qu'ils cherchaient un nouveau poste, sans succès. « Les conseillers sont débordés, reconnaît un agent Pôle emploi, en activité depuis près de dix ans. Ils font de temps en temps un point de vingt minutes par téléphone mais ça va rarement plus loin. Contrôler les démarches est mission impossible. »

« J'ai cotisé pour »

Si un conseiller a un doute sur le fait qu'un demandeur d'emploi cherche réellement du travail, il peut émettre une demande de contrôle. Celui-ci pourra être effectué par l'un des 600 agents (sur les 27.000 que compte Pôle emploi) dédiés à cette activité de contrôles aléatoires ou ciblés. S'il estime que la personne n'effectue pas (ou trop peu) de démarches, il peut émettre un avertissement. La personne au chômage devra alors prouver sa bonne foi, par exemple à l'aide de captures d'écran de candidatures envoyées, sans quoi elle pourra être momentanément radiée.

La dernière étude de Pôle emploi sur le contrôle des demandeurs d'emploi date de 2018. On y apprend que 139.000 demandeurs d'emploi ont été contrôlés en 2016. Parmi eux, 14 % (environ 20.000) ont fait l'objet d'une radiation. La quasi-totalité de celles-ci (97 %) « ont été prononcées pour une durée de 15 jours. Elles ont été suivies d'une réinscription du demandeur d'emploi dans les deux tiers des cas. »

Pas de quoi effrayer Romain. Pour lui, l'argent qu'il reçoit n'est pas volé. « J'ai cotisé pour. Je n'ai donc pas de scrupules à le percevoir. » En s'accordant ce temps, il espère bien, in fine, trouver sa vocation.

Des jeunes qui ont fait des études

Pour, Aurore Le Bihan, autrice du « Guide des paumée-e-s », cette période de chômage qui sert à expérimenter n'est accessible qu'à une certaine frange de la population : « Celle qui est la plus privilégiée sur le marché de l'emploi, qui a fait des études et qui a le confort psychologique de se dire qu'elle peut, si besoin, retrouver facilement du travail. » Et de poursuivre : « Pour toute une classe de la population, le chômage est totalement subi et n'est pas du tout envisagé comme une possibilité car les allocations-chômage qu'elle percevrait seraient insuffisantes pour vivre. »

L'autrice remarque également un gap entre la génération des baby-boomers, attachée au sacro-saint CDI et à la stabilité, et la génération de moins de 35 ans, qui s'interroge sur le sens du travail. « Moralement et éthiquement, la jeune génération accepte mieux de sortir des rails », souligne-t-elle. Et un conseiller Pôle emploi de confirmer : « Les jeunes se posent la question du sens de leur travail beaucoup plus tôt que leurs aînés, qui s'interrogent sur leur vie professionnelle plutôt autour de la quarantaine. »

D'après lui, cette période transitoire que s'octroient certains n'est pas du temps perdu. « En rencontrant des gens, en essayant de se faire un réseau, en s'interrogeant, on peut finir par trouver sa voie, avance-t-il. Mieux vaut qu'un jeune réfléchisse pendant un an et trouve le métier qui le rende heureux pour le reste de sa carrière que de prendre le premier emploi venu et revenir s'inscrire au chômage tous les six mois. »

Chercher un emploi une fois reboosté

Pour autant, le choix qu'ont fait ces trois jeunes n'est pas toujours facile à assumer. « Quand je rencontre de nouvelles personnes, il y a une certaine gêne au moment où on me demande ce que je fais dans la vie et où je réponds que je suis volontairement au chômage », raconte Manon. Elle sent chez ses interlocuteurs une certaine incompréhension. Si bien qu'elle en est venue à esquiver la compagnie de certains pour ne pas avoir à motiver son choix. Aujourd'hui, reboostée après 21 mois de chômage (période plus longue que prévu en raison de la pandémie), elle entame des démarches pour retrouver un emploi dans son secteur.

« Beaucoup ont encore cette vision erronée des chômeurs qui vivraient au crochet de la société, qui seraient des profiteurs », regrette Guillaume. Et d'ajouter : « Je n'ai pas honte de ma situation, bien au contraire. Je donne de mon temps à des associations, je me sens utile, j'ai gagné en confiance en moi et en bien-être. Cela me servira professionnellement. »

Lui pense chercher du travail à partir d'octobre, après un an au chômage. Grâce à toutes ces activités et rencontres, il assure déjà entrevoir « le chemin professionnel » vers lequel il veut tendre. « Un métier avec plus d'humain, utile, davantage au grand air que derrière un ordinateur. Dans une ONG peut-être ? Ou dans un commerce local ? » Sur son CV, il souhaite assumer et mettre en valeur de cette période de chômage. « Car ce n'est pas parce qu'on ne travaille pas que l'on ne s'enrichit pas ou que l'on est inactif. »

* Les prénoms ont été modifiés.

Source: start.lesechos.fr

 

 

Subscribe to receive free email updates:

Related Posts :

0 Response to "Ils ont préféré le chômage au travail, le temps de redonner du sens à leur vie"

Post a Comment

Loading...