Le Pakistan déploie, aujourd’hui, beaucoup d’énergie pour redorer une image détériorée par des années de violences et d’interventionnisme dans le conflit voisin afghan. Le documentaire réalisé par Daniel Harrich, Face au terrorisme : le renseignement et le djihad, ne risque pas de l’aider. Pour son auteur, le Pakistan n’est autre « qu’un refuge pour le terrorisme du monde entier ». De plus, les services secrets militaires pakistanais (Inter-Services Intelligence, ISI) seraient, selon lui, les mentors de groupes djihadistes opérant aussi bien à Paris, Copenhague ou Bombay. Ce constat au vitriol manque pourtant de nuance.
Pour sa démonstration, M. Harrich s’appuie essentiellement sur l’histoire d’un groupe islamiste pakistanais, le Lashkar-e-Toiba (LeT, l’« Armée des pieux »), créé en 1987 au Pendjab. Ce mouvement dénonce les conditions de la partition de l’Inde qui, en 1947, a donné naissance au Pakistan. Jusqu’à son interdiction, en janvier 2000, le LeT a joui d’une totale impunité de la part des autorités pakistanaises, notamment de l’ISI, après les attaques contre l’aéroport de Srinagar, au Cachemire indien, et des casernes indiennes.
Implication des services secrets pakistanais
Moins connu qu’Al-Qaida et que l’organisation Etat islamique (EI) et rebaptisé, depuis, la Jamaat-ud-Dawa, le LeT s’est fait un nom après avoir lancé un commando dans les rues de Bombay, fin novembre 2008, faisant 174 morts et 300 blessés. Selon New Delhi, l’ISI aurait été en contact avec le LeT au cours de l’opération, ce que le Pakistan a toujours démenti. L’enquête d’Arte rappelle que l’un des instigateurs de l’attaque, David Headley, de nationalité américaine et d’origine pakistanaise, a confirmé l’implication des services secrets pakistanais. Ex-indicateur de l’Agence antidrogue américaine (DEA), radicalisé, il était parti, en 2002, s’entraîner dans les camps du LeT au Pakistan, affirmant qu’il renseignerait la CIA. En réalité, il aurait servi les intérêts de l’ISI.
Arrêté après avoir mené des repérages à Copenhague, visant les locaux d’un journal ayant publié des caricatures de Mahomet, il incarnerait la duplicité des services secrets pakistanais qui soutiendraient officiellement la lutte antiterroriste occidentale tout en encourageant les actions violentes de groupes djihadistes. Côté pakistanais, seul l’ex-président Pervez Musharraf, exilé à Dubaï à la suite de poursuites pour trahison, témoigne. S’il ne dit rien sur le soutien du terrorisme à l’étranger, il rappelle que le LeT sert les intérêts du Pakistan quand il lutte contre l’hégémonie indienne. Trop brièvement interrogé, un ex-chef de l’ISI ajoute quant à lui que certains groupes extrémistes ont pu échapper au contrôle des services secrets pakistanais.
Partagé entre la défense de sa souveraineté et l’utilisation souvent hasardeuse de groupes armés pour ses intérêts régionaux, le Pakistan est régulièrement accusé de double jeu. Mais de là à voir en lui le grand sponsor du terrorisme international, il y a un pas que le documentaire franchit, sans toutefois convaincre. Quid de l’EI et d’Al-Qaida ? Un travail plus nuancé aurait permis de rappeler qu’avant qu’il n’envoie, en 2001, des kamikazes aux Etats-Unis, Oussama Ben Laden avait été financé par les services secrets américains pour soutenir le djihad antisoviétique en Afghanistan. De même, le Pakistan a, lui aussi, payé chèrement la violence de groupes islamistes sur son territoire avant de reprendre le contrôle par la force des zones tribales pakistanaises. En matière de renseignement, l’ami d’hier peut vite devenir l’ennemi de demain.
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