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Azerbaïdjan : une première dame va-t-en-guerre

  
« Après des années de chagrin et de tragédie, la justice historique est rétablie. » Parmi ceux qui célèbrent la victoire de l'Azerbaïdjan face à l'Arménie, une figure déborde d'enthousiasme : Mehriban Aliyeva, 56 ans, la première dame du pays. Depuis la fin du conflit, elle multiplie les déclarations à la gloire de cette « génération de héros qui demeurera à tout jamais dans nos mémoires ».

Certes, Mehriban ne brandit pas le poing devant les caméras, comme son mari, le dictateur Ilham Aliyev, 58 ans, mais dressée sur ses talons aiguilles ou en treillis militaire, elle affiche la même détermination.

C'est elle qui fleurit les tombes des « martyrs ». Elle qui se rend au chevet des blessés ou qui entre aux côtés de son époux dans les villes de Fizouli et de Djabraïl « libérées de l'occupation arménienne », lunettes de soleil sur le nez et chaussée de rangers. Son compte Instagram regorge désormais de messages patriotiques.

Numéro deux du régime

Mehriban, il est vrai, ne se contente pas de jouer les « First Lady ». Mariée à l'âge de 19 ans à Aliyev après avoir décroché à Moscou son diplôme d'ophtalmologue, elle a eu tout le loisir de découvrir les arcanes du pouvoir. Et de collectionner les titres. Ambassadrice de bonne volonté de l'Unesco, elle siège à l'état-major du parti présidentiel, au Parlement et gère en toute opacité une très riche fondation consacrée à la mémoire de son beau-père, Heydar Aliyev. En février 2017, tout s'accélère. Elle est nommée au poste de vice-président, devenant ainsi la numéro deux du régime. Aux commandes depuis 2003, Ilham Aliyev justifie alors sa décision « en raison de la place importante » de sa femme « dans la vie politique et culturelle du pays ».

Un rôle que Madame endosse rapidement. D'abord à coups de voyages officiels et de visites auprès de dirigeants étrangers. En mars 2019, le Premier ministre Édouard Philippe la reçoit. Elle se présente sur le perron de l'hôtel Matignon, tout de blanc vêtue, sac à main rose au bout du bras. Au cours de son séjour de 48 heures, elle enchaîne les entretiens avec Brigitte Macron, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand et le président du Sénat Gérard Larcher. Elle finalise même avec ses partenaires français un contrat portant sur la modernisation d'une ligne de chemin de fer entre Bakou et Yalama. « Elle a toujours aimé notre pays », raconte Jean-François Mancel, président de l'association des Amis de l'Azerbaïdjan, « elle nous a même avoué un jour qu'elle aimait chez les Français leur sens critique et leur capacité à manifester » !

La France apprécie la femme du despote. En 2011, le président Nicolas Sarkozy lui a remis la Légion d'honneur sans état d'âme. Qu'importe l'emprisonnement systématique d'opposants et de journalistes, le pays riche en pétrodollars sait user de son influence. Le tout au prix d'une corruption généralisée comme le démontre l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP).

 

© Fournis par Le Point Francois Hollande, Ilham Aliyev et Mehriban Alieva lors d'un dîner à l'Elysée le 14 mars 2017. © ETIENNE LAURENT / EPA POOL / EPA
 
En Azerbaïdjan, Mehriban prend ses marques. Elle place aux postes clés ses proches, issus du puissant clan des Pachayev, très lié à la Turquie. « Ce sont des gens aux belles manières, éduqués, parlant les langues étrangères, qui viennent chasser les représentants de la vieille garde », explique l'analyste Arzu Geybulla, basée à Istanbul.

La rumeur prétend même qu'en juillet, elle obtient la tête de l'expérimenté ministre des Affaires étrangères Elmar Mammadiarov. Un coup de théâtre à Bakou. Le péché de l'intéressé ? Son pacifisme affiché lors des négociations avec les Arméniens sur la région disputée du Haut-Karabakh. Le président Aliyev accuse son ministre de désinvolture et le congédie avec fracas. « On est tous au bureau et on me dit que pendant ce temps-là, il est chez lui », lance-t-il.

Trois hauts fonctionnaires du ministère sont arrêtés et inculpés pour corruption. Le successeur au portefeuille des Affaires étrangères s'appelle Djeyhoun Baïramov. Ancien ministre de l'Éducation, il n'a aucune expérience diplomatique, mais il présente un avantage : c'est un homme de confiance de Mehriban.

Intraitable

Comme son époux, la vice-présidente demeure intraitable sur la question du Haut-Karabakh. « Notre rêve est de pouvoir y entendre à nouveau nos chansons traditionnelles », déclare-t-elle l'an passé. Chiche ! lui répond en substance Anna Hakobian, la femme du Premier ministre arménien Nikol Pachinian. « Il n'y a qu'une façon de réaliser ce rêve, c'est la paix, je l'invite à venir dans le Karabakh pour nouer des relations amicales et je suis prête à me rendre à Bakou », ajoute-t-elle. Silence de Mehriban Aliyeva. Six mois plus tard, en juillet, les forces azerbaïdjanaises déclenchent une première attaque contre les troupes arméniennes avant de lancer leur grande offensive en septembre.

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Reste une inconnue : Mehriban est-elle promise à la fonction suprême ? Depuis son parachutage à la vice-présidence, l'option est ouverte. D'autant qu'au sein de la dynastie composée de trois enfants, le fils, Heydar Aliyev, n'a que 23 ans. Sauf que la donne change. « Depuis sa victoire militaire, Ilham Aliyev est indéboulonnable », souligne l'analyste Arzu Geybulla.

En attendant, Mehriban peut continuer à se consacrer à une chose : soigner son apparence. Quitte à abuser de la chirurgie esthétique comme le notait avec ironie en 2010 un télégramme diplomatique américain révélé par WikiLeaks. « Elle a du mal à faire apparaître tout un tas d'expressions sur son visage », y lit-on. Lors d'une visite de Lynne Cheney, la femme de l'ancien vice-président Dick Cheney, en 2008 à Bakou, un agent de sécurité américain n'avait pu s'empêcher une remarque en apercevant Mehriban accompagnée de ses deux filles : « Laquelle est la mère ? » lança-t-il. Après un moment d'hésitation, l'un de ses collègues lui répondit : « bon logiquement, la mère est au milieu ».

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