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Mignonnes : "Un portrait sans concession, entre ces deux modèles de féminité"

Mignonnes : "Un portrait sans concession, entre ces deux modèles de féminité" 
Après un César du meilleur court métrage pour "Maman(s)", Maïmouna Doucouré est à
l'affiche ce mercredi avec son premier long métrage "Mignonnes". Entretien avec une réalisatrice prometteuse et engagée, déjà remarquée et courtisée par les Etats-Unis.
L'histoire : Amy, 11 ans, rencontre un groupe de danseuses appelé : « Les Mignonnes ». Fascinée, elle s’initie à une danse sensuelle, dans l’espoir d’intégrer leur bande et de fuir un bouleversement familial...
AlloCiné : On a beaucoup parlé de "female gaze" ces derniers temps. Est-ce qu'on pourrait dire que Mignonnes est du "teen gaze", c'est-à-dire que votre film nous fait ressentir, vivre le point de vue d'une ado. C'est un film à hauteur d'ado...
Maïmouna Doucouré, scénariste et réalisatrice : Oui, on vit l’expérience avec elle. Le personnage n’est pas objet. Il n’est pas là pour être regardé, il est là pour nous embarquer avec lui dans son histoire singulière, dans ces situations. C’est un portrait sans concession que je raconte, entre ces deux modèles de féminité qu’on lui propose.
L’âge de transition que vous montrez est intéressant, car il n’y a pas forcément énormément de films et séries qui montrent cette bascule, cet âge entre deux, et provoque ainsi beaucoup d'interrogations. On se pose souvent la question pendant le film sur l'âge de cette fille et si elle est encore vraiment petite fille…
C’est un âge où le corps se transforme. On est dans une métamorphose. On n’est plus tout à fait une enfant, on n'est pas encore vraiment ado, ni adulte et on se cherche. Je suis bien sûr passée par cet âge et j’en garde un souvenir assez fort. 
J’ai d'abord fait un travail de documentation pendant plus d’un an et demi pour écouter les récits de jeunes filles dans tous les milieux sociaux et la plupart des faits que vous voyez dans Mignonnes sont tirés de faits réels. Je leur ai demandé comment elles se situent en tant que futures femmes. Comment elles vivent leur féminité, leur corps qui se transforme. Les seins qui poussent, les règles… ça peut être assez violent. Violent parce que parfois ça va trop vite. Parfois, ça ne va pas assez vite. Et croyez moi que quand ça ne va pas assez vite, c’est tout aussi violent ! Ces filles sont dans une comparaison des corps qui les entoure,  aujourd’hui avec les réseaux sociaux aussi : les corps objectivés que l’on voit sur la toile à longueur de journée, et auxquels elles veulent absolument ressembler, alors que leurs seins n’ont pas encore poussé… 
Mignonnes met en lumière la place des réseaux sociaux qu'on peut percevoir comme dangereuse à cet âge. Quel est votre point de vue sur ces réseaux sociaux ?
Il y a une expression qui dit "un couteau peut nourrir mais peut aussi te tuer"… Tout dépend comment vous l’utilisez. Pour les réseaux sociaux, c’est la même chose. Cela peut être un vecteur d’informations. C’est un lieu de partage, on peut y apprendre énormément de choses. Il y a des choses positives, mais il y a aussi cette exposition permanente de sa vie et de son corps... Une exposition et une surenchère car on est
dans cette course aux likes et aux followers, coûte que coûte. 
Mon personnage veut exister, construire son identité, à travers le regard des autres. Elle sait que plus elle va être sexualisée, plus elle va se définir comme un objet, plus elle va susciter le désir, plus elle va avoir des likes et des followers. A 11 ans, on n’a pas conscience de tous les mécanismes. Mais on a la preuve "en image" que ça marche.… Elle rentre juste dans une sorte de mimétisme en espérant avoir le même résultat.
A mon époque, il n’y avait pas de téléphones. On dansait aussi, peut être pas comme dans le film, mais ça nous arrivait de faire des danses un peu lascives. On faisait aussi des classements comme on voit dans le film. Mais la différence, c’est qu’on ne l’exposait pas au monde, à des milliers de gens. C’était entre nous. C’est là toute la différence, et c’est à partir de là que naît le potentiel danger.
Comme je vous le disais, c'est un film qui questionne, dont on a envie de parler en sortant de la séance. Quelles sont les réactions que vous avez eues jusqu'ici ?
Les réactions que j’ai le plus souvent sont que c’est un film qui est important, nécessaire. Il y a des parents qui me disent qu’ils sont tellement heureux ou heureuses d’être là avec leur enfant pour leur montrer le film parce qu’ils vont avoir beaucoup de choses à se dire à la maison, pouvoir parler, pouvoir les écouter. Certains disent : "Je ne suis pas avec mes enfants mais je reviendrai ; je reviendrai parce que je veux leur montrer".
J’ai cette sensation que Mignonnes, pour certains, peut être une base d’échanges, de discussion, de reconnexion de la communication qui parfois à tendance à disparaitre. Chacun est sur sa tablette, son téléphone... Mignonnes, d’une certaine façon, va s’inviter dans les familles pour rouvrir le dialogue. 
Est-ce qu’il y a des films sur l’adolescence qui vous ont particulièrement marqué, que vous avez soit vu récemment ou soit justement quand vous étiez adolescente ?
Il y a un film qui m’a marqué, c’est Carrie de Brian de Palma. On y voit notamment la façon dont elle vit la découverte de ses règles de façon hyper violente. Il y a Les Quatre-cent coups de François Truffaut aussi forcément. Cela correspond à l’âge que je dépeins. C’est un personnage qui est contraint de grandir trop vite et n’est pas épargné. J’adore ce film. Vous en avez qui vous viennent en tête ?
Oui, je dirai L’Effrontée (de Claude Miller, avec Charlotte Gainsbourg) que j’ai découvert jeune… Un film qui montre une fille assez normale, qui peut paraître un peu bizarre aussi parfois.
Oui, c’est un film qui va à l’encontre de la jeune fille qui doit être très jolie… Ce qu’on nous dit à longueur de journée, c’est que tu dois être mignonne, sage, calme… Ne parle pas trop fort. Ne te fais pas remarquer. C’est vrai que j’ai beaucoup aimé ce film aussi. 
Il y a un travail sur la couleur, le côté "pop" et coloré du film, qui fait que Mignonnes ne ressemble pas beaucoup à ce qui peut se faire dans le cinéma français. Cet aspect est très réussi et veut sans doute aller dans le sens du "teen gaze" dont nous parlions juste avant. Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre approche sur ce point ?
J’ai pensé mon personnage de façon viscérale. J’ai tout pensé dans la création de ce film en fonction de l’état émotionnel de mon personnage. Au départ, l’extérieur est très coloré, lumineux, parce que c’est comme ça qu’elle voit le monde. Elle est tellement heureuse d’être avec ce groupe de jeunes filles qu’il y a quelque chose de presque magique qui opère à travers son regard. C’est pour cela que la lumière est presque arc-en-ciel.
A contrario, quand elle est chez elle, étant donné qu’elle vit un bouleversement familial, on voit que plus ce dernier s’intensifie au cours de l’histoire, plus la lumière s’assombrie. Les couloirs semblent même se rétrécir. La lumière et les costumes aussi ont été pensés ainsi, par rapport à son état émotionnel. 
Revenons également sur le parcours du film, qui a déjà été primé aux Etats-Unis, et vous semblez avoir une histoire particulière avec les Etats-Unis justement… Cela a dû vous aider, vos encourager… Et question subsidiaire : est-ce que cela vous intéresserait de travailler là-bas ? Sachant que les réalisatrices françaises sont souvent sollicitées, notamment pour les séries… Cela pourrait vous tenter ?
Oui, j’ai beaucoup de sollicitations. C’est de la folie ! Je suis allée à Sundance avec Mignonnes, et j’ai eu cet honneur de remporter le prix de la meilleure réalisation. J’en ai profité pour aller à Los Angeles. Car j’avais reçu de la part de l’Académie des Oscars, le Gold Fellowship Award -qui est un prix remis à la meilleure jeune réalisatrice pour encourager les femmes réalisatrices-. J’ai été invitée à me rendre à Los Angeles pour participer à la cérémonie des Oscars début 2020, avant que tout ne s’arrête avec la pandémie.
Dans ce cadre, j’ai rencontré plein de producteurs, et ils ont tous dans leurs tiroirs, je ne sais combien de scénarios, avec tels ou tels grands acteurs, et recherchent des réalisateurs… Donc j’ai eu beaucoup de propositions. Pour l’instant, je n’en ai retenu aucune, car il y a de supers histoires, mais ça ne me correspondait pas vraiment.
Dans ce que je raconte, j’ai besoin qu’il y ait une part de moi, une part intime, même si l’histoire ne vient pas de moi. Donc pourquoi pas vivre cette expérience outre-Atlantique. Mais je reviendrai en France. Un jour, on m’a dit : "si tu veux que ça marche, quitte la France, va définitivement aux Etats-Unis…" J’ai répondu que je n’irai nulle part, car on se bat pour changer les représentations. Si chacun de nous s’en va, on n’avancera jamais. Je resterai là, de pied ferme !  
Entre Tout Simplement Noir, et votre film, peut être est-ce un effet de loupe des médias, mais cela peut donner l'impression que les choses bougent pour changer les représentations dans le cinéma français. Est-ce que ça bouge vraiment selon vous ?
Moi, je trouve que ça bouge, doucement, mais il faut être vigilant. On n’y est pas encore, clairement. Quand vous irez dans la rue et que vous demanderez à une personne de vous citer le nom d’un acteur ou d’une actrice noir, on vous dira Omar Sy et peut être Aïssa Maïga. Mais on ne pourra pas vous donner un 2ème nom… 
Deuxième chose : vous voyez, vous me parlez de Tout Simplement Noir, je suis vraiment contente du succès de ce film. Mais je me dis que le jour où ce genre cinématographique qu’on appelle la diversité disparaitra, et qu’on parlera juste de film français, de comédie, de drame, en voyant vraiment les genres tels qu’ils existent, là on aura vraiment réussi, et on pourra se dire que la France se nourrit enfin de toute sa richesse comme il se doit.
Je comprends néanmoins qu’il faille nommer les choses pour aller vers l’action, pour qu’elles évoluent. Nous sommes sur la bonne voie. Je suis optimiste !
Brigitte Baronnet
Par allocine.fr

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