Pour rendre visibles des exilés en attente d’être reconnus mineurs et dénoncer leur manque de prise en charge, cinq associations, dont Médecins sans frontières, ont installé un campement dans la XIe arrondissement de la capitale.
Soixante-quinze tentes rouges et bleues sont parfaitement alignées de part et d’autre du square. Au centre, on a installé un barnum blanc et une table sur laquelle sont disposés un bidon d’eau, un distributeur de gel hydroalcoolique et un petit-déjeuner. Les bénévoles de Médecins sans frontières (MSF), en gilets blancs, s’affairent auprès de jeunes migrants. Cette scène de campement humanitaire ne se déroule pas dans un pays en conflit mais en plein cœur du XIe arrondissement de Paris, square Jules-Ferry.
L’installation express a eu lieu ce lundi 29 juin, entre 23 heures et 23h15. MSF et quatre autres associations ont choisi cet endroit pour «rendre visible» la galère des migrants isolés qui attendent d’être reconnus comme mineurs. A l’entrée du campement, plusieurs panneaux annoncent : «Ceci n’est pas une colonie de vacances.» Parmi la nuée de volontaires, Corinne Torre, responsable nationale de MSF déplore : «On héberge ces jeunes depuis décembre et il n’y a aucune prise en charge de la mairie ni de l’Etat.» Et ce mardi 30 juin marque la fin de l’hébergement d’urgence par l’ONG, rappelle-t-elle, avant d’être accostée par François Vauglin, maire du XIe arrondissement, venu constater l’installation.
«Les zombies du système»
Les ados présents jouent aux cartes, se font tirer le portrait par un dessinateur ou discutent en petits groupes. A leur arrivée en France, ils se sont tous présentés pour un entretien d’évaluation de leur minorité. Avec une même sentence : majeur. Ils ont chacun déposé un recours devant le juge des enfants. Depuis, ils attendent une décision de justice. Dans cette zone grise, aucune structure ne les prend en charge. Alors ils sont hébergés et nourris par des associations. Ce sont «les zombies du système» pour David Belliard, ancien candidat à la mairie de Paris et élu au conseil municipal du XIe, qui a tenu à apporter son soutien.
L’objectif de ce campement ? «Que les pouvoirs publics trouvent un lieu adapté et faire valoir la présomption de minorité, martèle Caroline Douay, cheffe de mission à MSF. On milite pour des hébergements collectifs, adaptés à des mineurs avec accès à la santé, à l’éducation, à la nourriture, à l’hygiène. Jusqu’à ce qu’un juge statue.» Certains bénévoles, qui ont dormi sur place, entendent assurer une présence continue sur le campement. L’une d’entre eux, Laure Wolmark, psychologue et coordinatrice du pôle santé mentale pour le comité pour la santé des exilés (Comede), est témoin des dégâts causés par cette situation. «On observe un cumul des difficultés chez ces jeunes, des parcours traumatiques. Beaucoup ont été témoins ou victimes de violences dans leurs pays d’origine, durant leur voyage ou même à leur arrivée en France.» Et alerte : «L’ensemble de ces facteurs favorise la souffrance psychique, et entraîne parfois le développement de troubles psy graves.»
«Il y en a qui deviennent fous parce qu’ils dorment dehors et n’ont pas de famille. Ce sont ceux qui sont vite traumatisés», confirme Moussa, un jeune Malien. Jusqu’à la nuit dernière, il dormait «à République, dans la rue». «Mais je suis allé à l’école et j’ai fait une formation en cuisine», raconte-t-il en montrant des piqûres d’insectes sur ses bras et des carnets de correspondance dans son sac.
Assis devant les tentes flambant neuves, Lassana, autre jeune compatriote, tient à raconter son histoire, malgré sa timidité. Après le décès de son père, il a appris qu’il avait deux frères qu’il n’avait jamais rencontrés, partis pour l’exil. Il ignore où. Lorsqu’il a assuré à sa mère, sans travail, que lui aussi voulait partir pour aller «en Europe», elle l’a supplié de renoncer. Il lui a promis qu’il donnerait, lui, des nouvelles. Mais depuis septembre, il ne lui a pas parlé. «Je ne pensais pas qu’il y aurait autant de difficultés en France», soupire-t-il.
Après plusieurs lettres à la mairie de Paris, en charge de l’accueil des mineurs étrangers isolés, les associations n’ont rien trouvé d’autre pour aider ces jeunes. Obtiendront-elles ce qu’elles demandent ? Moussa, désabusé, ne «pense pas que ça va marcher». Au centre du campement, un riverain mécontent élève la voix face à une bénévole. «Quand on s’est installés, il nous a lancé des pommes et ce n’était pas pour les manger», confie Caroline Douay de MSF. Derrière lui, l’un des panneaux installés par les associations a déjà été cassé en deux. Les bénévoles assurent qu’ils resteront «jusqu’à ce qu’une solution d’hébergement soit trouvée». Ou que le campement soit démantelé par la police.
0 Response to "Les jeunes migrants campent en plein Paris"
Post a Comment