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Comment la mafia italienne profite du coronavirus

En Italie, les organisations criminelles s'enrichissent en tirant parti de la crise économique.  
En Italie, les organisations criminelles s'enrichissent en tirant parti de la crise économique.

Etait-ce couru d’avance? Moins de dix jours après la proclamation par le président du Conseil, Giuseppe Conte, de l’état d’urgence sanitaire, l’ancien procureur de la République à Rome donnait l’alerte dans La Stampa. "Le risque est que les mafias profitent de la crise pour étendre non seulement leurs activités criminelles, mais aussi leur présence dans l’économie légale, afin de blanchir de l’argent et de développer leur réseau de relations avec les entrepreneurs, politiciens et administrateurs", écrivait Giuseppe Pignatone.
Aujourd’hui, il est loin d’être le seul à le penser. "Les mafias savent profiter des crises avec cynisme, assure Giancarlo Caselli, ancien procureur de la République à Palerme, elles se jettent sur les économies en difficulté et elles les saignent. C’est dans leur ADN. Ce sont des charognards." Selon lui, "lorsque la politique tarde à prendre des décisions, les mafias offrent des services qui sont normalement la prérogative de l’État", précise l’écrivain et grande voix de la lutte contre la mafia Roberto Saviano. Partout où la crise du coronavirus a créé ou exacerbé des besoins, le risque d’infiltration des organisations mafieuses, – "structures les mieux organisées du capitalisme contemporain" selon l’expression de Saviano – est immense.
"Il y a de nombreux indices que nous voyons émerger de nos écoutes téléphoniques, de nos poses de micros et filatures
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Dès le 7 avril, Franco Gabrielli, le chef de la police italienne, fait état d’une situation liée au Covid "inédite et gravissime" dans un long exposé qu’Interpol envoie immédiatement à ses 194 pays membres. "Une attention immédiate a été accordée aux secteurs économiques qui n’ont jamais interrompu leurs activités, comme la chaîne agroalimentaire, l’approvisionnement en médicaments et en matériel médical, le transport routier, les services funéraires, les entreprises de nettoyage, d’assainissement et d’élimination des déchets", peut-on y lire. Si les enquêtes sont toujours en cours, les policiers savent désormais avec certitude que les clans se sont rués sur ces affaires juteuses devenues vitales au temps du coronavirus.
"Il y a de nombreux indices que nous voyons émerger de nos écoutes téléphoniques, de nos poses de micros et filatures", assure Alessandra Dolci, coordinatrice de la direction antimafia et anticorruption de Milan. D’après les premiers éléments d’enquête, la mafia calabraise se montre particulièrement entreprenante. "La’Ndrangheta, surtout, se jette sur ce business de l’urgence", précise la magistrate.

Violences et intimidation font loi

Autre signal de cette activité mafieuse tentaculaire, la pratique de l’usure, c’est‑à-dire le prêt d’argent avec intérêt à des entreprises en difficulté, une spécialité des clans mafieux. Le ministère de l’Intérieur estime que l’usure a augmenté de 9,6% depuis le début de l’année, pendant que les chiffres de tous les autres crimes et délits s’effondraient. "La pègre se présente sous les traits d’une entreprise désireuse de s’associer à l’entrepreneur en détresse et lui offre des liquidités sans délais, décrypte Roberto Saviano. Pour lui, entre perdre le travail d’une vie et accepter cet argent, le choix est vite fait. Mais quand il accepte, en peu de temps les organisations criminelles lui prennent tout."
Nul besoin de contrat ou de reconnaissance de dette dans ces arrangements inégaux : violences et intimidations font loi. Une fois que le piège s’est refermé et qu’elles en sont devenues les véritables propriétaires, les mafias utilisent les entreprises comme façade pour recycler leurs fonds et les blanchir dans l’économie légale. L’organisation Fipe Confcommercio, qui représente plus de 300.000 acteurs des secteurs de la restauration, du divertissement et du tourisme, assure que des clans mafieux de la ville de Bari (Pouilles) ont commencé à visiter les bars et les restaurants pour faire savoir que leurs coffres-forts étaient grand ouverts.
"On leur fait une forme de chantage en proposant de racheter leur établissement pour la moitié de sa valeur
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"En Émilie-Romagne, des hôtels ont reçu des offres, rapporte Luigi Cuomo, président de SOS Impresa, une association de défense des commerçants contre le crime organisé. Ou plutôt, on leur fait une forme de chantage en proposant de racheter leur établissement pour la moitié de sa valeur, mais uniquement s’ils se décident sur-le-champ. S’ils attendent le mois, suivant, l’offre diminue. Évidemment, plus ils attendent, plus ils s’enfoncent dans les difficultés."
Quand l’heure des grands investissements publics sera venue pour relancer l’économie, nul doute aussi que les clans seront à la manœuvre pour toucher leur part du gâteau. "Leur objectif sera de s’infiltrer dans la réalisation de petits et grands travaux financés par des investissements publics considérables", avertit l’ex-procureur de Rome Giuseppe Pignatone.

Un arsenal judiciaire et législatif unique au monde

"Après le tremblement de terre de 1980 à Irpinia [dans la région de la Campanie], la reconstruction de certaines zones de la région a été l’occasion d’une montée en puissance de la Camorra et une augmentation de sa dangerosité", se souvient-il. Et cela ne s’est pas mieux passé à L’Aquila, en 2009, où les mafieux ont accouru pour la reconstruction. Vincenza Rando, l’avocate de l’association Libera, a été aux premières loges pour constater la rapacité des mafias après ce genre de sinistres. "J’ai suivi des procès au cours desquels des écoutes téléphoniques ont révélé que les mafieux se réjouissaient de ce genre de désastres, rapporte-t‑elle. “Magnifique! Un séisme! C’est le moment d’investir!”, ai-je pu entendre. Comme si c’était un don du ciel."
Le défi est donc énorme pour l’Italie, mais les forces ne sont pas aussi déséquilibrées qu’il pourrait y paraître. Le pays dispose d’un arsenal judiciaire et législatif antimafia unique au monde, notamment en matière de prévention, et ne compte pas rester les bras croisés. Dans une interview publiée le 24 avril sur le site de son ministère, le vice-ministre de l’Intérieur Matteo Mauri proclamait : "Cette fois, les mafias ne gagneront pas."
Par leJDD.fr

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