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Non, le coronavirus n'a pas été créé à partir du VIH, contrairement à ce qu'affirme le professeur Luc Montagnier

Le professeur Luc Montagnier en juin 2009. 
Les propos de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 et médecin désormais
controversé, selon lequel le Covid-19 aurait été créé à partir d'une séquence du VIH, sont très repris. Mais son affirmation est « complètement fausse et n'a aucun sens biologique », assurent les spécialistes interrogés par 20 Minutes.
FAKE OFF - Les propos de Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 et médecin désormais controversé, selon lequel le Covid-19 aurait été créé à partir d'une séquence du VIH, sont très repris. Mais son affirmation est « complètement fausse et n'a aucun sens biologique », assurent les spécialistes interrogés par 20 Minutes. 
« Une bombe », « un pavé dans la mare »… Le site de santé « Pourquoi docteur » ne manquait pas de superlatifs pour introduire son podcast, ce jeudi 16 avril, donnant la parole au professeur Luc Montagnier, prix Nobel de médecine en 2008 – avec la professeure Françoise Barré-Sinoussi – pour leurs travaux sur la découverte du VIH (virus de l’immunodéficience humaine), le virus responsable du  sida, en 1983.
Et pour cause : à en croire les déclarations du professeur émérite de l’institut Pasteur – décrié en 2017 par une partie de la communauté scientifique pour ses « messages dangereux pour la santé » et sans fondement « éthique » à propos des vaccins –, le Sars-CoV-2, nom scientifique du  Covid-19, aurait été créé accidentellement dans un laboratoire de Wuhan – la capitale du Hubei, province de Chine d’où est partie l’épidémie – par des chercheurs qui tentaient de créer un vaccin au VIH.
Interrogé par le présentateur de l’émission, le docteur Jean-François Lemoine, sur le « décryptage incomplet » qui aurait été fait du Sars-CoV-2, Luc Montagnier explique ainsi au préalable : « Le laboratoire de la ville de Wuhan s’est spécialisé sur ce type de coronavirus depuis très longtemps […]. Ils ont une expertise dans ce domaine, ce qui m’a poussé à regarder de près la description du génome – c’est-à-dire de la séquence – de l’acide nucléique […] de ce virus. Ca, c’est le début d’une analyse qui a été faite non seulement par moi mais aussi et surtout par mon collègue mathématicien, qui s’appelle Jean-Claude Perez. »
Avant de poursuivre : « Il a effectivement fouillé dans les moindres détails de la séquence. On n’a pas été les premiers puisqu’un groupe de chercheurs indiens a publié – enfin, a essayé de publier – une analyse qui montrait que le génome complet de ce coronavirus avait des séquences d’un autre virus, et ô surprise pour moi, le VIH, le virus [responsable] du sida. Ceci a été publié d’abord par le groupe indien, on l’a obligé [à] se rétracter parce qu’il y a une énorme pression pour tout ça, pour que la vérité fasse jour. »
« L’hypothèse la plus raisonnable, c’est de penser qu’ils voulaient faire un vaccin contre le VIH et utiliser un coronavirus qui, en principe, peut atténuer et ne pas donner de maladies », ajoute enfin Luc Montagnier en se défendant, en réponse à une question de Jean-François Lemoine, de tout « complotisme ». Mais en précisant au passage le rôle qu’il pourrait jouer face au coronavirus : « Moi, j’ai des propositions à faire mais j’ai besoin de beaucoup de moyens. Je pense qu’avec des ondes, des ondes interférentes, avec les ondes qui sont derrière ces séquences d’ARN, on pourrait peut-être éliminer, même chez les patients, ces séquences par des ondes. »
Autant d’éléments avancés au fil de l’émission d’une dizaine de minutes, en préambule de laquelle le présentateur reconnaissait pourtant que cette « argumentation étayée » restait « impossible à vérifier [à son niveau] ». Sans surprise, les déclarations ont bien connu un retentissement très important puisqu’elles sont depuis reprises par de nombreux internautes et personnalités, comme le sociologue Edgar Morin.
Le professeur Luc Montagnier a en outre été invité, depuis, sur le plateau de Cnews ce matin, où il a répété ses propos.
Mais ceux-ci sont clairement contredits par les dernières recherches sur le Covid-19 comme le confirme à 20 Minutes Monsef Benkirane, chercheur au CNRS et directeur de l’Institut de génétique humaine : « Non, le génome du coronavirus ne contient absolument pas de séquence du VIH. Deux articles publiés, l’un dans la revue Nature, l’autre dans Cell, ont infirmé la possibilité que SARS-Cov-2 ait été conçu dans un laboratoire. Cette affirmation n’a aucun sens biologique et est complètement fausse. » Un autre chercheur spécialiste du sujet abonde : « Cette histoire de séquence du VIH est complètement erronée et a fait hurler la communauté scientifique. »

FAKE OFF

L’hypothèse selon laquelle le Covid-19 aurait été créé dans un laboratoire de Wuhan – soit volontairement soit par accident – n’est pas nouvelle. Comme nous l'expliquions fin janvier, cette théorie circulait déjà sur les réseaux sociaux sans qu’aucun élément concret n’aille en ce sens. Et elle a connu un regain de visibilité ces derniers jours à la faveur de différents articles indiquant que les services de renseignement américains étudiaient sérieusement cette possibilité parmi d’autres, bien qu’aucun élément n’accrédite cette hypothèse à ce stade.
« On connaît très bien les mutations acquises par le virus, à quel niveau elles ont eu lieu et comment elles lui ont permis de franchir la barrière d’espèce. Il n’y a aucun doute sur le fait que ce virus n’a pas été fabriqué en laboratoire », explique Monsef Benkirane à propos du SARS-CoV-2, dont le génome est constitué d’ARN, un acide nucléique.
« L’acide nucléique est une succession de mots composés à partir de quatre lettres, en l’occurrence, A, U, C et G pour le virus ARN. Si on cherche des séquences courtes de deux ou trois lettres dans des génomes différents, on va forcément les trouver, mais ça ne veut pas dire que les deux génomes sont les mêmes ou que l’un vient de l’autre. Prenez les deux phrases "je regarde la télévision" et "je lis un livre" : elles partagent un même mot, "je", mais elles ne sont pas les mêmes pour autant. On retrouve forcément des mots identiques dans des textes complètement différents », détaille le spécialiste.

« Aucune raison de le relier au VIH »

En clair, si certaines successions de mots du génome du SARS-CoV-2 se retrouvent dans celui du VIH, on les retrouve aussi dans de nombreux virus différents, sans qu’elles n’aient de valeur probante ou qu’elles puissent être associées à un virus en particulier plutôt qu’à un autre. C’est ce qu’expliquait déjà Trevor Bedford, spécialiste anglophone des virus, début février, en réaction à « l'étude indienne » aujourd’hui citée par le professeur Luc Montagnier, et qui soutenait que la présence de quatre régions spécifiques dans le SARS-CoV-2 – et absentes d’autres virus de cette famille – émanait du VIH. « Ces brèves insertions existent bien […] mais une simple [recherche de régions similaires entre plusieurs séquences] sur des séquences aussi courtes correspond à une énorme variété d’organismes. Il n’y a aucune raison de le relier au VIH », expliquait ainsi le spécialiste.
Olivier Schwartz, responsable de l’unité « virus et immunité » à l’Institut Pasteur, était lui aussi revenu sur cette étude début mars pour France Culture (à partir de 0’44 ci-dessous) : « Une équipe de chercheurs a montré des homologies de séquence entre ce coronavirus et HIV. Mais en fait, ça n’a aucune signification. La séquence du virus, c’est une suite d’acides nucléiques […]. C’est 30.000 lettres différentes qui se suivent. 30.000 lettres, c’est à peu près 30 pages d’un livre. Et ils ont comparé ces 30 pages de livre à 30 pages d’un autre livre, le livre du VIH, et ils se sont aperçus qu’il y avait des groupes de 3 ou 4 lettres en commun. […] Statistiquement, il y a forcément des homologies mais cela n’a aucune valeur, c’est dû au hasard. »
En outre, « l’étude indienne » avait été mise en ligne le 31 janvier 2020 sur le site bioRxiv en version « pre-print », sans être relue par la communauté scientifique – un processus qui permet aux experts scientifiques du domaine de s’assurer de sa fiabilité et de vérifier sa méthodologie, ce qui prend généralement plusieurs mois.
En l’occurrence, face au tollé de la communauté scientifique, qui avait dénoncé le manque de sérieux de leur méthode et les résultats qu’ils en avaient tiré, ses auteurs l’avaient finalement retirée en expliquant ne pas « avoir voulu alimenter des théories complotistes et se défendre de toute affirmation de ce genre », et en promettant de retravailler leur étude avant de la publier de nouveau. Contactés par 20 Minutes, ils n’avaient pas répondu à nos sollicitations avant la parution de cet article.

« Comment se fait-il que vous soyez tout seul sur ce sujet ? »

Si nous n’avons pas non plus été en mesure de joindre Luc Montagnier, le docteur Gérard Guillaume, médecin spécialisé en rhumatologie, nous explique comment le professeur en est venu à partager sa théorie dans « Pourquoi docteur » : « Je travaille avec le professeur Luc Montagnier depuis dix ans, je fais partie de son groupe de travail informel constitué d’une quinzaine de médecins de disciplines différentes, dont l’ambition est de réfléchir – en étudiant de la littérature scientifique notamment – sur les infections froides et leur rôle dans les maladies chroniques. »
« Nous sommes au courant de son travail sur le coronavirus depuis mars : il a réalisé 88 séquençages de génomes et a trouvé la séquence du VIH 87 fois. Lors d’une réunion de travail en visioconférence, le 11 avril, le professeur Montagnier nous a fait part de ses dernières avancées sur le virus et je lui ai dit "Comment se fait-il que vous soyez tout seul sur ce sujet ?", avant de lui dire que son devoir était de parler aux médias s’ils ne venaient pas à lui. J’ai donc contacté Jean-François Lemoine, qui m’avait interviewé il y quelques années », poursuit Gérard Guillaume, en précisant : « Le professeur Montagnier s’attendait à subir des tirs de missile pour avoir partagé sa théorie mais il m’a dit : "J’ai 87 ans, mon avenir est derrière moi, je ne crains rien" ».
De son côté, Jean-Claude Perez, l’ami mathématicien cité par Luc Montagnier comme co-auteur de l’étude, nous explique étudier « depuis trente ans la biomathématique de l’ADN », après avoir travaillé en tant que « chercheur à IBM ». « On travaillait avec Luc Montagnier depuis août sur d’autres sujets, et on s’est penchés sur le coronavirus après son apparition. Grâce à un outil dont je dispose pour vérifier les génomes, nous nous sommes penchés sur celui-ci et nous avons découvert qu’il évoluait beaucoup par rapport aux précédents SARS. Puis nous sommes tombés sur la publication d’un Américain, sur le Web, qui affirmait qu’une région du SARS-CoV-2 ne se retrouvait pas dans les autres SARS et en l’enlevant on augmentait son intégrité au lieu de la réduire », affirme-t-il.

Une étude complète « bientôt publiée »

« On a ensuite trouvé dans cette région-là trois morceaux d’HIV-1 tout petits, puis six et nous avons publié un article pré-print – sans validation d’autres scientifiques – qui a été très suivi avant d’être supprimé pour d’obscures raisons [puis republié ici] et nous avons appris par la suite que ça avait été la même chose pour l’étude indienne », poursuit-il. Tout en contestant le « raisonnement selon lequel les séquences courtes ne montrent aucun lien probant entre les génomes » du VIH et du SARS-CoV-2 car « les nombreuses régions observées sont côte à côte sur le génome, ce n’est pas la nature qui peut faire ça, on est sûrs qu’il y a eu une manipulation humaine ».
« Il y a eu une contre-attaque venant de Chine pour dire que le virus émanait de la chauve-souris, c’est difficile à expliquer mais on a d’autres preuves dans l’article qui montrent que la manipulation a été faite au dernier moment pour lier le virus à la chauve-souris. L’étude indienne représente peut-être 10 % de ce qu’on a trouvé dans la nôtre, on l’a quasiment terminée, on va bientôt le publier, on va essayer de le faire dans une grande revue avec validation d’autres scientifiques mais ça va être compliqué », conclut Jean-Claude Perez.
« Avec tout le respect que je dois au professeur Montagnier, il s’est éloigné de la recherche scientifique ces dernières années. Il est peut-être moins à jour », souligne Monsef Benkirane, alors que Le Monde racontait, il y a deux ans, dans une entrevue avec Luc Montagnier, comment il avait « fallu promettre par mail de ne pas être aux mains des laboratoires pharmaceutiques ou des lobbies médicaux, jurer de ne pas déformer ses propos » pour pouvoir le rencontrer.

« Les scénarios d’un coronavirus manipulé délibérément par l’homme ont été réfutés » par des chercheurs indépendants de différents pays

Lucie Etienne, chercheuse CNRS en virologie et biologie évolutive au Centre International de Recherche en Infectiologie (CIRI, à Lyon), rappelle enfin à son tour les conclusions – et la méthodologie – de l’étude publiée dans la réputée revue Nature : « Le génome du coronavirus SARS-CoV-2 à l’origine du Covid-19 ne contient pas de séquence du VIH. […] Cette information a pu être démontrée par des analyses phylogéniques de ces virus, c’est-à-dire des analyses qui retracent l’histoire des virus, un peu comme un arbre généalogique à partir des données du code génétique des virus. Ces analyses sont largement utilisées pour étudier l’origine des virus en général. »
« Des chercheurs indépendants, de différents pays, ont pu publier ces analyses qui ont été également validées par d’autres chercheurs indépendants. Ainsi, les scénarios d’un coronavirus manipulé délibérément par l’homme ont été réfutés, de même pour ceux d’un coronavirus avec des séquences VIH insérées », ajoute-t-elle.
Contactée par 20 Minutes, Sidaction, l’association de lutte contre le VIH, indique quant à elle : « A ce jour, nous ne finançons pas de recherche sur le Covid-19 et aucun des chercheurs que nous finançons sur le VIH ne nous a fait part de constats lié à la présence d’éléments du VIH dans la séquence Covid-19. »
« Les inconnues, à ce stade, c’est l’origine du virus, on ne sait pas s’il vient de la chauve-souris ou du pangolin, rappelle Moncef Benkirane. Il nous reste aussi tout à apprendre sur la façon dont il se réplique, dont il déjoue le système immunitaire, pourquoi ce virus est hautement pathogène chez certaines personnes et pas du tout chez d’autres, etc., afin de pouvoir élaborer des stratégies thérapeutiques efficaces incluant le développement d’un vaccin. » Et de conclure : « Mais le meilleur exemple, c’est le VIH : grâce à nos connaissances sur le virus, on dispose aujourd’hui d’une trentaine de molécules antivirales qui, combinées dans la trithérapie, permettent de faire qu’on ne meurt plus du VIH. »
Alexis Orsini
Par 20minutes 

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