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Brésil : le pari fou de Bolsonaro face à l'épidémie

Au Brésil, le président Bolsonaro multiplie les controverses avec le corps médical pour remettre le pays au travail.
Au Brésil, le président Bolsonaro multiplie les controverses avec le corps médical pour remettre
le pays au travail.
Les temps troublés sont toujours propices à la fabrique de héros nationaux. Au Brésil, le jeune maire de São Paulo, Bruno Covas, est en passe de devenir l'un d'eux. Tandis que le président, Jair Bolsonaro, minimise la dangerosité du coronavirus, l'édile de 40 ans se démène pour éviter que l'épidémie ne vire à la catastrophe. Pourtant, il y a quelques mois, les médecins lui ont diagnostiqué un gravissime cancer du cardia, à la jointure de l'œsophage et de l'estomac, que la chimiothérapie n'est pas parvenue à éradiquer. Très affaibli, il ne s'en relèverait sans doute pas s'il venait à contracter le Covid‑19. "J'ai dû déménager à la mairie et j'ai fait installer un lit dans mon bureau", explique au JDD l'élu du Parti social-démocrate.
Dans l'État de São Paulo, le plus peuplé du pays avec 46 millions d'habitants, le combat est déjà terrible : avec 560 morts et 8 419 cas déclarés hier soir, la région la plus riche du Brésil concentre à elle seule la moitié des décès et des malades du pays. Et les prévisions de l'institut de recherches biomédicales Butantan donnent le vertige : 110 000 morts dans les six mois si un confinement est respecté, 277 000 si aucune mesure n'est décidée.

Masques et tests manquent

Des mesures, Bruno Covas et le gouverneur de l'État de São Paulo en ont pris très tôt. "Début janvier, nous avons commencé à élaborer un planning d'urgence et à préparer le personnel soignant", affirme le maire. Le 16 mars, les deux hommes préparent un plan de confinement qui est instauré quatre jours plus tard. S'il n'est pas aussi rigide qu'en France, il est l'un des plus stricts du pays. "Nous avons aussi augmenté le nombre de lits dans les unités d'urgence et installé deux hôpitaux de campagne de 2 000 lits", ajoute l'élu. Immunologiste à l'Institut Pasteur de São Paulo, la Franco‑Brésilienne Paola Minoprio se veut confiante : "Nous avons pris de l'avance. Et puis une solidarité incroyable s'est mise en place. Des étudiants de l'Institut polytechnique ont commencé à fabriquer des respirateurs. Les femmes dans les favelas confectionnent des masques."
Sur le papier, São Paulo et le Brésil ne sont pas si mal lotis. "Le système de santé est l'un des plus performants d'Amérique latine", estime le chercheur Frédéric Louault, de l'université libre de Bruxelles. Une source officielle européenne sur place confirme : "Il y a plus de lits de réanimation par habitant qu'en France." Des armes suffisantes? Non, si l'on en croit le rapport alarmant du ministère de la Santé publié lundi, qui anticipe un déficit de lits et de personnel lorsque surviendra la phase aiguë de l'épidémie. Déjà, dans l'État d'Amazonas, les hôpitaux sont au bord de la saturation. Et, comme partout ailleurs, masques et tests manquent.

L'extrême fragilité de l'édifice brésilien

Contenir cette vague relève du casse‑tête. Dans les favelas, le confinement oblige souvent une dizaine de personnes à vivre sous le même toit. De quoi favoriser les contaminations intrafamiliales. Ne pas respecter le confinement serait pire encore. "Or, à Rio, on observe déjà un relâchement", indique Frédéric Louault. Les 38 millions de Brésiliens (41 % des actifs) qui vivent du commerce informel n'ont pas d'autre choix que de travailler.
Le gouvernement fédéral a donc décidé de leur verser 600 réis (107 euros) par mois pour les inciter à rester chez eux. "Nous offrons aussi un petit déjeuner aux élèves de la ville", ajoute Bruno Covas. "L'informel, c'est là où ça va péter", s'inquiète l'observateur européen. Et d'avancer un scénario noir : à la crise sanitaire s'ajouterait un effondrement économique et social qui dégénérerait en une crise sécuritaire. Frédéric Louault prédit lui aussi une montée rapide de la petite délinquance, même si, selon lui, le crime organisé joue son rôle social. "À Rio, c'est le Comando Vermelho, l'un des principaux gangs, qui organise le confinement et veille à son respect dans les favelas", affirme‑t‑il.
Cette situation montre surtout l'extrême fragilité de l'édifice brésilien. Et ce n'est pas l'attitude du président Bolsonaro qui le rend moins branlant. Celui qui a parlé du virus comme d'une "grippette" n'a qu'une obsession : éviter l'écroulement de l'économie. Il appelle donc au déconfinement, multiplie les sorties en public et se moque des gestes barrière. Ce faisant, il s'isole. Une majorité de gouverneurs et d'élus au Congrès lui ont tourné le dos. Dernièrement, c'est l'armée, l'une des colonnes vertébrales du pouvoir, qui a pris ses distances. Cette semaine, le chef de l'État a fini de se discréditer en perdant le bras de fer engagé avec son populaire ministre de la Santé, Luiz Henrique Mandetta, aux positions diamétralement opposées. Peu à peu, le dirigeant d'extrême droite se replie sur les Églises évangéliques, son dernier soutien. Il a ainsi proposé un jeûne national pour conjurer le virus. Et Frédéric Louault de prévenir : "En privilégiant l'économie, Bolsonaro a fait un énorme pari. Quand les morts vont commencer à s'accumuler, il sera tenu pour le seul responsable."




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