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Tse Chi Lop, le « El Chapo » asiatique

Un usager de méthamphétamine aux Philippines. La drogue est produite à bas coûts, à base de médicaments sans ordonnance et de produits chimiques. 
Une enquête a sorti ce baron de la drogue de l’anonymat. D’origine chinoise, il contrôlerait un réseau
de méthamphétamine qui s’étendrait de Hongkong à l’Australie en passant par le Japon. L’homme court toujours.
C’est le reporter Tom Allard, de l’agence Reuters, qui révèle l’existence de ce trafiquant qui n’a rien à envier à Pablo Escobar ou à « El Chapo » et règne sur le commerce de stupéfiants de la Nouvelle-Zélande au Japon en passant par Taïwan ou la Birmanie. Son nom, jusqu’alors inconnu du grand public : Tse Chi Lop. L’efficacité de son réseau, que ses membres appellent « La Compagnie », a conduit en cinq ans à une multiplication par quatre du trafic de la drogue de synthèse des quartiers populaires de la région, la méthamphétamine.
A lui seul, il représente de 40 % à 70 % du trafic du continent et s’est fait une spécialité de dissimuler ses produits dans des paquets de thé en vrac. Les enquêteurs des pays de la zone parlent d’une filière « Sam Gor », « frère numéro trois » en cantonais, l’un des surnoms de Tse.

Jet privé et kickboxeurs

Pour les agents taïwanais, cet homme, coiffé la raie au milieu et qui par son allure vestimentaire pourrait passer pour n’importe quel Chinois de la classe moyenne, est le « PDG d’une multinationale ». Il se déplace en jet privé, est protégé par une équipe de huit kickboxeurs thaïlandais qui changent régulièrement. Derrière lui se sont alignées les puissantes triades de Hongkong, dont les noms étaient, il y a quelques années encore, synonymes de guerres fratricides : Sun Yee On, 14K et Wo Shing Wo. Il a aussi l’appui des mafias taïwanaises et de précieux relais de distribution : les yakuzas au Japon, les bikers en Australie et les gangs de la diaspora chinoise d’Asie du Sud-Est.
Pour Tse Chi Lop, originaire de Canton, tout commence sous la Révolution culturelle. Le groupe de gardes rouges auquel il appartient est placé en détention. C’est à ce moment qu’il forme une association criminelle avec des codétenus, le Gang du grand cercle. Ils s’installent à Hongkong quand la Chine s’ouvre économiquement, puis cherchent la protection de passeports occidentaux. Tse arrive au Canada en 1988, y obtient la nationalité. Il fait des allers-retours entre l’Amérique du Nord, Macao et Taïwan, devient un trafiquant de rang intermédiaire de l’héroïne produite dans le Triangle d’or, la jungle montagneuse où se rejoignent la Birmanie, le Laos et la Thaïlande.

Un modèle commercial imbattable

Il est arrêté aux Etats-Unis en 1998, écope de neuf ans dans un pénitencier de l’Ohio. Après sa sortie, en 2006, « Frère numéro trois » adopte un modèle commercial imbattable, une forme d’assurance tous risques : si une de ses cargaisons est interceptée par des forces de police, il la remplace sans sourciller ou rembourse au client tout ce qui a été avancé. Une offre rendue possible par le faible coût de la drogue de synthèse, produite à base de médicaments sans ordonnance et de produits chimiques.
En 2011, la police australienne identifie un réseau de dealeurs à Melbourne. Les montants sont limités, quelques dizaines de kilos seulement. Choisissant de ne pas arrêter les trafiquants, les agents enregistrent leurs appels et les suivent durant plus d’un an. Ils vont remonter jusqu’à un certain Tse Chi Lop, dont le rôle précis échappe encore aux policiers. Mais, à la fin 2016, un Taïwanais du nom de Cai Jeng Ze est interpellé à l’aéroport de Rangoun. Il s’apprêtait à embarquer sur un vol pour rentrer dans son pays lorsque les douaniers birmans ont remarqué sa tendance à se gratter les mains, couvertes d’une sorte d’eczéma. La manipulation en quantité des produits précurseurs du«  crystal meth » irrite durablement la peau. En le fouillant, la police découvre deux paquets de drogue scotchés aux hanches. Mais Cai refuse catégoriquement de parler. Ses interrogateurs comprennent vite pourquoi.

Syndicat tentaculaire

Sur ses deux iPhone, ils trouvent une mine d’informations : des noms, des adresses de rendez-vous, des photos. Dans un des téléphones, les enquêteurs repèrent aussi une vidéo de torture : trois bourreaux électrocutent un homme avec un aiguillon sous tension pour bovins et lui brûlent les orteils au chalumeau. Il avait eu le malheur de jeter par-dessus bord 300 kg de drogue en voyant arriver une vedette de gardes-côtes. Sur une autre photo, un agent australien basé à Rangoun reconnaît le visage de… Tse Chi Lop.
Quelques mois plus tard, un Australien qui achète un chalutier à Perth pour 214 000 euros sans licence de pêche attire l’attention des autorités. Cap au nord, pour réceptionner une cargaison en haute mer. Ils le suivent avec ses complices lors de ses rendez-vous avec les hommes du réseau Sam Gor, notamment à Bangkok. Progressivement, la police acquiert la conviction que Tse Chi Lop, 55 ans, est le grand parrain de ce syndicat tentaculaire. Tse est désormais la cible principale d’une opération baptisée « Kungur » rassemblant les efforts d’une vingtaine de polices d’Asie, d’Amérique du Nord et d’Europe. Il est toujours en liberté.
Par Le Monde


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