
Au-delà de tout, la mutinerie qui est survenue à la prison centrale de Yaoundé aurait pu être prévenue
si le pouvoir de Yaoundé avait, au départ, réglé bien de problèmes liés aux pesanteurs et aux lenteurs judiciaires. Mais avec un effectif pléthorique de près de 5000 détenus, le plus grand pénitencier du Cameroun a, ces dernières années, subi un boom démographique au point où il se pose, aujourd'hui, le phénomène de la surpopulation carcérale.Prévues pour accueillir 800 personnes, la prison centrale de Yaoundé, tout comme celle de New Bell à Douala comptent, de nos jours, près de 5000 détenus, dont 80% en détention préventive. Au moins quatre déterminants permettent d'expliquer la mutinerie ayant eu lieu dans l'enseigne carcérale de kodengui: la surpopulation carcérale; le mauvais traitement des prévenus et des détenus; les lenteurs des procédures judiciaires; la corruption et les pratiques mafieuses à l'origine des frustrations. Toute chose susceptible de transformer les établissements pénitentiaires en brasiers. Et lorsque l'on y ajoute, comme ces derniers mois, des prisonniers politiques, à l'instar des prisonniers du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc), les détenus arrêtés depuis l'enclenchement de la crise anglophone, les activistes et web journalistes interpellés, cette atmosphère bruyante et délétère, en milieu carcéral, ne peut que générer, comme qui dirait, un cocktail potentiellement explosif, à l'instar de celui qui s'est produit le 22 juillet 2019.
Dans la factualité des procédures judiciaires normales, les milieux carcéraux ne devraient pas être engorgés. L'on devrait avoir droit, en effet, au phénomène de la sous-population carcérale, qui est la preuve irréfutable du fonctionnement rapide des procédures judiciaires. Puisque dans une justice neutre et objective, les juridictions ont pour principe la liberté et, pour exception, la privation de cette liberté. Or au Cameroun, la quasi-totalité des infractions débouche sur la privation de la liberté. Il y a, néanmoins, des peines alternatives pour des infractions mineures et tolérables, en l'occurrence la surveillance judiciaire, le sursis avec probation ou encore le port du bracelet électronique. Pratiques, dont deux ne sont pas expérimentées dans le contexte actuel.
Le respect de la Constitution de la République du Cameroun, dont les segments établissement la liberté de s'exprimer, la liberté de manifester, la présomption d'innocence et non de culpabilité, et la conformité des actants du levier judiciaire avec les principes du Code de procédure pénale et du Code pénal, prescrivant des mesures alternatives, telles que les travaux d'intérêt général auraient pu éviter le grabuge survenu le 22 juillet 2019 dans l'enceinte de la prison centrale de Yaoundé. Mais en vain! Dans le Code pénal camerounais, il est prévu, entre autres, la comparution libre, les peines avec sursis, les cautions. Mais s'agissant des plaintes pour diffamation, le juge d'instruction vous contraint à une détention préventive dans une prison déjà surpeuplée. Toute chose qui peut durer un, deux, trois, cinq ans, voire plus.
Au-delà de tout, il s'agit de la méchanceté des plaignants qui, après avoir déposé une plainte contre telle ou telle autre personne, disparaissent, prennent la poudre d'escampette et entrent dans les sissongho virtuels. Pourtant, ils sont, bel et bien, présents dans l'espace public; certains interviennent même sur les plateaux de télévision, mais refusent, manifestement, de se présenter aux différentes audiences auxquelles ils sont appelés à défendre leur plainte. L'enjeu principal des plaignants consiste alors à faire souffrir le prévenu en prison, qui passe, repasse et trépasse parfois lors des audiences en l'absence du plaignant, curieusement, disparu de la scène publique. Pourtant, c'est ce gonflard, sulfureux et impétueux qui se pavane dans toutes les rues et dans son quartier pour dire à qui veut l'entendre que j'ai porté plainte contre tel et il verra ce qui se passera en justice. En dépit de la sollicitation de l'huissier de justice qui le notifie d'être à l'audience tel jour, l'individu ne se présente toujours pas. Le dernier cas en date est celui de Paul Chouta, web journaliste, arrêté le 27 mai 2019 à cause d'une plainte pour diffamation, dont la plaignante est Calixthe Beyala, auteure franco-camerounaise. Cette spécialiste de la littérature ne s'est jamais présentée à une audience pour défendre sa plainte au Tribunal de Première instance du centre administratif du Mfoundi. Le juge en charge dudit contentieux a déjà renvoyé l'affaire à deux reprises alors que le prévenu Chouta est toujours présent. Des cas d'une telle essence sont nombreux dans plusieurs villes camerounaises à la grande désolation et au grand malheur des prévenus qui croupissent en milieu carcéral et qui y sont meurtris vu les conditions déshumanisantes et dégradantes qu'ils vivent au quotidien.

Nous qui appartenons donc à la classe des défavorisés et des paupérisés sommes condamnés à languir, à se morfondre et à mourir en prison étant revêtus du statut sempiternel de prévenu sans jamais être jugé et condamné. Il s'agit, sans conteste, du déficit d'amour pour le Cameroun, du manque de dignité et de repère moral. Conséquence de la gouvernance judiciaire éminemment répressive, qui est, indubitablement, à l'image du Cameroun, pays de la dictature. Or, dans les pays sérieux et rigoureux comme la Belgique, pour certains délits, l'on vous fait purger votre peine à domicile avec un bracelet électronique. Le but consiste, en fait, à ne pas entraîner la surpopulation carcérale. Cela s'appelle, purement et simplement, le respect de la dignité humaine. La prison est donc un lieu de privation de liberté et non un creuset de déshumanisation, de destruction et de-construction de la personne humaine. L'Homme noir doit, impérativement, retrouver le sens de la terminologie dignité humaine. Quand on en parle, il n'est point question d'un intérêt quelconque, mais il s'agit de l'intérêt du peuple camerounais.
Par Serge Aimé Bikoi
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