
En théorie, déposer une demande d’asile en France est gratuit, entièrement pris en charge par l’État. Pourtant, sur le terrain, InfoMigrants a rencontré de nombreux demandeurs d’asile qui déclarent faire face à toutes sortes de dépenses, parfois lourdes. Ces frais imprévus sont appelés "frais cachés" par les associations. Ils peuvent concerner l’hébergement, les transports, la nourriture, ou encore les envois de documents administratifs.
Albert*, un demandeur d’asile congolais, était très angoissé avant de passer son entretien devant l’Ofpra, la seule institution française habilitée à instruire les dossiers des demandeurs d’asile, en France. Albert n’avait pas peur de l’entretien à proprement parler mais il craignait d’être épuisé en y arrivant. "Il faut que je trouve un endroit où dormir. Je viens de loin, et je ne sais pas comment me loger, je ne connais personne en région parisienne", avait-il écrit à InfoMigrants quelques jours avant sa venue dans la capitale. "Je ne peux pas dormir à la rue avant mon entretien ! Je vais être très fatigué, peu concentré ! Ça va être compliqué devant l’agent qui va m’interroger".
Hébergé non loin de Nancy, dans l’est de la France, Albert vit dans un foyer géré par Coallia, une association d'aide et d'accompagnement social. Ses billets de bus pour venir à Paris ont été pris en charge par sa structure d’accueil. Seulement voilà, si l’aller vers Paris a été prévu le 18 mai et le retour vers Nancy le 20 mai**, aucun hébergement n’a en revanche était réservé.
"On m’a dit qu’il fallait que je me paye une chambre d’hôtel. Ce n’était pas pris en charge. Mais je n’ai pas assez d’argent…", explique-t-il. "J’ai demandé à ce qu’on change les dates sur mon billet, Coallia m’a dit que c’était le seul retour qu’il pouvait me proposer". Finalement, Albert réussira à changer son billet, à ses frais, pour faire l’aller-retour dans la même journée.
En théorie, Albert n’aurait pas dû subir ces difficultés. Pierre Henry, le président de France terre d’asile (FTDA), rappelle que la prise en charge d’un demandeur d’asile par la structure qui l’accueille doit être totale. "Cette prise en charge comprend l’hébergement, le transport, tous les frais administratifs relatifs au dossier", explique-t-il. "Évidemment, il existe des défaillances", concède-t-il. "À cause des budgets contraints notamment, certaines structures ne peuvent pas répondre au cahier des charges des demandeurs d’asile".
InfoMigrants détaille ces "défaillances" appelées "frais cachés" par les associations d’aide aux sans-papiers.
1- Les "frais cachés" de l’hébergement
Si un demandeur d’asile a le droit à un hébergement, nombreux sont ceux inscrits sur liste d’attente. En effet, les places sont saturées dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA), dans les hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile (Huda), dans les centres d’accueil et d’orientation (CAO) ou encore dans les Accueils temporaire- service de l’asile (AT-SA).
"Beaucoup de demandeurs n’ont donc pas de solutions d’hébergement", explique Gérard Sadik, le coordinateur asile de la Cimade. Ils se replient sur des solutions précaires : campements, squats… "Ceux qui ont un peu d’argent peuvent louer des chambres d’hôtel, d’autres dépensent leur allocation (ADA) pour se payer des chambres…", précise-t-il encore.
Faute de pouvoir enregistrer rapidement leur demande d’asile (voir point numéro 2), de nombreux migrants sont également condamnés à la rue. "Le délai d’attente à Paris pour se rendre en préfecture est d’environ trois semaines ou un mois. Avant ce rendez-vous et le commencement d’une éventuelle prise en charge, la personne doit se débrouiller pour se loger et pour manger". Beaucoup se tourne alors vers le 115 ou vers les associations pour trouver un toit. "Le temps passé dehors pendant cette pré-inscription est inadmissible", ajoute Pierre Henry, le président de FTDA.
2- Le coût des appels téléphoniques pour enregistrer sa demande d’asile
À Paris, pour obtenir un rendez-vous en préfecture et enregistrer sa demande d’asile, les migrants doivent appeler un numéro unique de l’Ofii (l’Office français de l’immigration et de l’intégration), l’établissement public chargé d’organiser l’accueil des demandeurs d’asile sur le sol français.
Le coup de fil peut revenir cher. "Pour un seul appel de 45 minutes, le montant facturé par les principaux opérateurs utilisés par les exilés est équivalent à 6,75 euros", peut-on lire dans un communiqué associatif. Surtout, ce numéro est difficile à joindre. Et le temps d’attente est payant. "Il faut appeler des dizaines de fois, et attendre plus d’une demi-heure, avant de pouvoir entendre un agent au bout du fil".
"Le coût peut paraître marginal mais il est colossal pour des personnes sans ressources", précise Pierre Henry de FTDA.
À l’Ofii, on reconnaît des défaillances. Mais on explique l’impossibilité de mettre en place un numéro gratuit (un numéro vert), car les opérateurs de cartes pré-payées, du type Lycamobile, très utilisées par les migrants, "bloquent l’accès aux numéros verts".
3- Payer ses transports
Dans les CADA et les structures d’accueil officiels, les demandeurs d’asile ont généralement le droit à une prise en charge de leur déplacement. Ou à un rabais (-50% sur la carte Navigo, -50% sur l’achat d’un carnet de tickets de métro, à Paris). "Reste que les demandeurs d’asile doivent débourser une somme non négligeable pour compléter l’achat de ces titres de transport", précise Gérard Sadik de la Cimade. "Et parfois, c’est très compliqué".
C’est le cas de Sissoko, un demandeur d’asile malien, hébergé en banlieue parisienne dans un centre de l’Ofii. Malgré son allocation (ADA) de 200 euros par mois, il ne peut pas payer ses carnet de tickets pour aller à Paris. "Je suis hébergé dans un centre d’accueil en Seine-Saint-Denis, et presque tous les jours, je vais tous les jours à Paris, à la Cité des Sciences, porte de la Villette", explique-t-il. Sissoko y rejoint ses amis, pour tuer le temps, en attendant que son dossier soit instruit. "Mais le carnet de tickets coûte trop cher. C’est 30 euros pour 10 tickets quand on vient de la banlieue. J’en ai besoin de deux par jour pour y aller et rentrer le soir… Ça me revient à plus de 100 euros par mois… Alors, la plupart du temps, je fraude. Je n’en suis pas fier, mais je ne sais pas quoi faire…", explique Sissoko. "J’ai été contrôlé l’autre fois, j’ai eu une amende de 50 euros, je ne sais pas comment la payer. On m’a dit qu’elle serait majorée à 100 euros si je ne paye pas".
Les demandeurs d’asile soumis au règlement Dublin sont eux aussi pénalisés. Depuis la création des "pôles régionaux Dublin" par le ministère de l’Intérieur, les demandeurs dublinés doivent se rendre obligatoirement dans leur préfecture de la région pour leur suivi de dossier. Les distances sont parfois longues et coûteuses. "Un dubliné qui habite à Nice, par exemple, est obligé d’aller à Marseille pour un rendez-vous administratif. Une personne d’Angers doit aller à Nantes. C’est énormément de frais", s’agace encore Gérard Sadik de la Cimade.
4- Les "frais cachés" des documents administratifs
Pour pouvoir compléter un dossier de demande d’asile à l’Ofpra, les demandeurs doivent écrire l’intégralité de leur récit d’exil. C’est une étape obligatoire et parfois coûteuse. Car le récit doit être écrit en français. Or, nombreux sont ceux qui ne maîtrisent pas la langue, encore moins son écriture. "Cette étape est normalement prise en charge par les structures d’accueil", répète Pierre Henry de France terre d’asile. Pourtant, beaucoup font appel à des traducteurs. Les associations proposent leur aide, d’autres se tournent vers des professionnels qu’ils doivent donc rémunérer.
D’autre part, il est obligatoire de faire traduire les documents officiels non français (état-civil, extraits d’acte judiciaire…) pour les ajouter dans le dossier de l’Ofpra. Le demandeur d’asile doit donc faire appel à un traducteur assermenté, appelé "traducteur expert judiciaire". Ce dernier est chargé de traduire le document et surtout de garantir l’authenticité du document. Le coût de cette traduction – qui incombe à la structure d’accueil - revient parfois à la charge du demandeur d’asile.
Beaucoup de demandeurs d’asile ont également confié à InfoMigrants faire appel à des avocats pour défendre leur dossier. C’est le cas de Sissoko. "Je n’ai pas envie d’être expulsé, et je ne comprends pas tout à l’administration française, alors j’ai demandé l’aide d’un avocat. Je lui ai déjà versé 300 euros, c’est l’intégralité de mon ADA et de mes petites économies", explique le Malien.
Les demandeurs d’asile peuvent avoir droit à l’aide juridictionnelle – qui permet de bénéficier d'une prise en charge totale ou partielle par l'État des honoraires et frais de justice (avocat, huissier, etc.). Mais beaucoup ne le savent pas. "Beaucoup dépensent des centaines d’euros pour se faire représenter par un avocat", précise Gérard Sadik de la Cimade.
*Le prénom a été changé
** Les dates ont été modifiées pour protéger l’identité du demandeur d’asile.
Par infomigrants.net
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