
Ces derniers jours, il y a une polémique qui enfle dans l'espace public au sujet de l'affaire des primes
devenue une espèce de malédiction dans l'environnement de la gestion managériale de la sélection nationale du Cameroun. Alors que les Lions indomptables ont voyagé sur le tard le 21 juin 2019, jour de l'ouverture de la Coupe d'Afrique des nations (Can) de football en Egypte, quiconque pensait, de façon momentanée, après avoir accepté la prime de 20 millions de Fcfa non sans tancer le gouvernement dans une lettre rendue publique, que le contentieux était vidé. Que nenni! Que n'a-t-on pas entendu hier (dimanche, 23 juin 2019, sur les plateaux de radio et, surtout, de télé du kaléidoscope national? Une victime expiatoire est née. Le bouc émissaire est débusqué. Et un lion, dans la tanière, est juché sur l'autel du sacrifice rituel. Idriss Carlos Kameni est voué à une vindicte médiatique sans précédent au point où certains panélistes d'une chaîne de télévision locale se prévalent, toute honte bue, d'être des patriotes le jour du seigneur. Quelle impénitence!
D'après ces intervenants des débats, c'est une paraphrase, les lions indomptables ont déshonoré le Cameroun, en prenant en otage les dirigeants pour une affaire de primes. Pourtant, fulminent-ils, le Cameroun traverse une crise sans précédent. Dans ce jeu oratoire manifestement empreint de "violence symbolique", au sens bourdieusien, des flingueurs pensent que des joueurs ne sont pas patriotes. D'aucuns osent même dire que les lions indomptables devraient passer le service militaire. Ce qui est fort curieux, c'est le dévoilement du bouc émissaire, Idriss Carlos Kameni, à qui ils imputent la responsabilité de la fronde du 20 juin 2019. L'un des gardiens de buts des lions indomptables, qui a osé tenir tête, avec ses congénères, au navire de la mafia, dont il connaît le parrain, les miasmes, les déterminants, le jeu d'intérêts et l'environnement, est, aujourd'hui, sur l'échaffaud, destiné à être cricifié par les pseudo défenseurs du patriotisme.
Au Cameroun, il apparaît que chaque fois qu'un problème crucial est posé dans l'agora, au lieu d'attaquer la résolution dudit problème en passant à l'essentiel, l'on préfère, plutôt, se focaliser sur l'accessoire, en débusquant et en criblant de balles le bouc émissaire. En effet, la pathologie liée à l'affaire des primes au sein de l'équipe nationale n'est pas une nouveauté. C'est un scandale récurrent, dont les autorités gouvernementales connaissent, réellement, la causalité, mais dont les solutions ne sont jamais trouvées de manière efficace et efficiente. L'on se rappelle qu'à lacoupe du monde 2014, les lions indomptables avaient menacé de ne pas décoller pour une affaire de primes. Samuel Eto'o Fils, capitaine de l'équipe nationale à l'époque, avait décrié le problème des primes au point d'inciter ses pairs à refuser le drapeau national. S'obstinant à faire perdurer ce jeu de débrayage, l'avion des lions avait décollé plus tard que prévu pour se rendre au Brésil. Où étaient les chantres du patriotisme spontané ou circonstanciel pour tancer l'ancien goléador, meneur des troupes, et ses pairs, qui décidèrent de trainer la patte pour une affaire de prime? Tous ou presque avaient gardé mutisme, chacun préférant sauvegarder les intérêts bassement mercantilistes et nombrilistes. Quand la chèvre broute là elle où est attachée, elle garde silence. C'est, curieusement, en 2019 que les patriotes du dimanche viennent brailler et clamer que les lions ne sont pas patriotes. Quelle est même la signification du mot "patriotisme", dont la modalité définitionnelle fluctue au gré de la consonnance idéologique des uns et des autres, des représentation sociales et des intérêts inavoués des protagonistes?
Visiblement, c'est le nom du fahrer de la contestation qui a changé! Hier, c'était Eto'o, la tête de proue du clan du "1984"! Aujourd'hui, c'est Kameni, le meneur et la désormais victime du faciès de la revendication au sein de la tanière des rois de la forêt. Le Mondial 2010 n'avait été différente que de par l'intensité de la revendication. Sur ces entrefaites, Michel Zoah, alors ministre des Sports, s'était escrimé afin que les histoires de primes pour la compétition fussent traitées et réglées en amont. Chaque joueur avait alors obtenu le pactole de 45 millions de Fcfa de frais de participation payé à même le budget de la République du Cameroun. Malgré tout, le Cameroun n'avait jamais été aussi honteux qu'au sortir du mondial 2014, en perdant pas moins de trois matches. Le Marrakechgate de 2011 est venu asseoir la terminologie du bras de fer sempiternel entre les joueurs et les autorités. Le rubicond ayant été franchi pour une question de frais olympiques de 500.000 Fcfa que le département de tutelle ne souhaitait plus verser à chaque rassemblement.
En jetant un regard holistique et historique sur les litiges liés à la gestion managériale de la sélection nationale, l'on ne saurait mettre sous le boisseau les antécédents de la Fédération camerounaise de football (Fecafoot), lesquels avaient été rendus public lors de la World cup (Coupe du monde) 1994 aux Etats-unis avec la fameuse malette restée dans les airs. Ces passifs se sont poursuivis en 1998 en France, puis en 2004, 2008, 2010 sans que cela ne suscite un ou des mécanismes de prise de conscience et des actions de mutation de comportements dans le dessein d'une gouvernance plus rigoureuse et plus fiable de la sélection nationale.
Au-delà de tout, l'affaire de la malédiction des primes, qui continue de perdurer et de hanter l'esprit des gestionnaires de l'instance faîtière du sport-roi et du gouvernement camerounais, émane d'un seul problème, celui de la violation du décret de 2014. En effet, le scandale des primes fait les choux gras de la presse nationale en raison du non-respect des textes par les responsables de l'équipe nationale. Le décret du 30 novembre 2014 portant organisation et fonctionnement des équipes nationales dispose que les primes des joueurs doivent être fixées trois mois avant pour une phase finale de la Can et six mois avant pour une phase finale de la coupe du monde. Pour le cas d'espèces, il s'agit d'une violation manifeste et flagrante de ce décret. Ce n'est pas à la veille du départ de l'équipe nationale que l'on devrait rester arc-bouté sur les joutes et diatribes sur les primes. C'est justement ce problème de fond lié à la dérogation à l'application dudit décret qui engendre une brouille, un flou, des mig mags, des déconvenues, des contingences, le scandale et la malédiction des primes. Le gouvernement ne fait guère preuve de rigueur et de sérieux dans le respect strict des textes. Chacun veut procéder au bricolage, au rafistolage, au colmatage des brèches et, a fortiori, au tripatouillage dans l'optique de créer et d'opérationnaliser les instruments du brigandage des deniers publics. L'enjeu est de ponctionner la fortune publique à travers la distraction du pécule destiné aux joueurs. D'où l'entretien du flou autour du montant à payer imposé in extremis.
Plutôt que de réfléchir sur le problème systémique de la résorption des mentalités individuelle et collective réfractaires au développement, les patriotes du débat dominical faussent le débat, en s'appesantissant sur les individus, à qui ils attribuent, sans coup férir, la faute. Pourtant, c'est archi faux! I.C. Kameni n'est nullement à l'origine des problèmes systémiques relatifs à la mal gouvernance de la sélection fanion et, par ricochet, à celle des sélections nationales. La Fecafoot, le Minsep et, par corollaire, le gouvernement dans l'ensemble sont, tous, au banc des accusés! Si vous voulez régler, définitivement, le contentieux perpétuel des primes, appliquez, purement et simplement, le décret de 2014! Laissez Kameni tranquille! L'option pour le paradigme du bouc émissaire est un faux débat. Que les défenseurs du patriotisme fortuit et leurs instigateurs-modérateurs des débats audiovisuels se taisent! Ce n'est jamais un problème individuel, mais un problème, à la base, systémique. Passez à l'essentiel! Ne surfez pas sur la passerelle de l'accessoire!
Je ne suis ni Idriss Carlos Kameni, ni Samuel Eto'o Fils, ni Patrick Mboma, ni Gérémie Sorel Njitap, ni Rigobert Song Bahanag, ni Albert Roger Milla, ni Joseph Antoine Bell, ni Thomas Nkono, mais je suis, reste et demeure
Par Serge Aimé Bikoi.
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