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Guy Mettan : « Le modèle suisse peut tout à fait s’appliquer dans n’importe quel pays d’Afrique »

 
Dans son dernier ouvrage « Le Continent Perdu », le journaliste Guy Mettan plaide pour une
Union Européenne qui adopterait le modèle suisse. Un modèle démocratique, basé sur une alliance entre le peuple et les élites dans un partage équitable du pouvoir et de la prospérité. Tiens donc ! Et ce modèle, qui semble si bien réussir aux Helvètes, ne pourrait-il pas inspirer les gouvernances africaines ? « Bien sûr que oui ! » nous a-t-il répondu. Démonstration.

Agence Ecofin : Le modèle suisse, et notamment la démocratie directe, fonctionne bien dans un pays à haut niveau de revenus et d’éducation. Mais ce modèle est-il transposable en Afrique ?
Guy Mettan : Bien sûr que oui ! Le succès de la démocratie directe en Suisse ne s’explique pas par le fait que la population dispose d’un bon niveau de vie et d’éducation. C’est l’inverse. Le bon niveau de vie et d’éducation de la Suisse est une conséquence de la démocratie directe.
La démocratie directe a été inventée en Suisse, sous sa forme moderne, il y a 200 ans. A l’époque, les populations suisses étaient en grande partie illétrées, peu formées, elles n’avaient pas fait les grandes écoles pour analyser le fonctionnement de la fiscalité ou la géopolitique…
Transposer telle quelle la démocratie directe suisse en Afrique ne serait sans doute pas pertinent, mais ce qui est intéressant, c’est le processus, la méthode suisse qui, elle, peut être appliquée partout en Afrique, à n’importe quel niveau de développement des populations.
La méthode suisse, c’est très simple : c’est la prise de conscience par les élites de l’époque, de la nécessité de faire alliance avec leur peuple contre les ingérences étrangères, contre les dominations étrangères.
« La méthode suisse, c’est très simple : c’est la prise de conscience par les élites de l’époque, de la nécessité de faire alliance avec leur peuple contre les ingérences étrangères, contre les dominations étrangères. »
 A cette époque, la petite Suisse subissait le diktat des grandes puissances voisines comme la France ou l’Autriche. Les élites ont alors fait un choix : « Plutôt que de lutter contre notre peuple pour prendre la grande part d’un petit gâteau, on va s’allier avec notre peuple, contre les intérêts étrangers, et ensemble on va agrandir le gâteau ». Les élites suisses ont compris qu’en étant solidaires de leur peuple, elles devenaient beaucoup plus fortes. Elles ont donc organisé un partage plus équitable du pouvoir et de la prospérité.
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« Les élites suisses ont compris qu’en étant solidaires de leur peuple, elles devenaient beaucoup plus fortes.»

La situation de l’Afrique, dominée sur tous les plans par les grandes puissances européennes, chinoise, américaine, justifierait pleinement une telle approche. Il y a tout à gagner à faire confiance aux peuples car les gens, quand ils se sentent associés, quelque soit leur niveau d’éducation, ne votent jamais contre leurs intérêts.
« Plutôt que de lutter contre notre peuple pour prendre une grande part d’un petit gâteau, on va s’allier avec notre peuple, contre les intérêts étrangers, et ensemble on va agrandir le gâteau ».
Le plus difficile dans cette méthode, c’est d’établir la confiance entre les élites et le peuple. Dès que cette confiance est installée, on entre dans un cercle vertueux et le pays ne peut que progresser.

AE : L’Union Africaine se construit en grande partie sur le modèle de l’ Union Européenne dont vous craignez l’échec. Doit-on s’attendre au même résultat en Afrique ?
GM : Dans l’Union Européenne, le principal défaut de construction, je dirais que c’est une orientation exclusivement économique. Ça a commencé par un marché commun, ce qui peut se comprendre car on voit bien tous les avantages que l’on peut tirer du libre-échange. Mais le problème, c’est de créer une Union uniquement basée sur le libre-échange en évacuant le volet politique de l’affaire. Au début, ça marche parce qu’on engrange des gains relativement rapides, mais après un certain temps, le politique finit par revenir sur le devant de la scène parce qu’il y a des changements d’équilibres au sein de la zone, il y a des gagnants et des perdants, et là c’est le politique qui doit réguler cette situation. Selon moi, c’est l’insuffisance de gouvernance politique qui mène la construction européenne à l’échec.

AE : Justement, le premier grand succès que semble enregistrer l’Union Africaine ces jours, c’est le traité de libre-échange continental, qui vient d’être ratifié par un nombre de pays suffisant pour assurer son entrée en vigueur. Même cause, mêmes effets ?
GM : La situation en Afrique est très différente. En Europe, il y avait déjà une tradition d’échanges importants entre les pays depuis des centaines d’années. En Afrique, ça a toujours été un problème. Les pays du continent n’arrivent pas à échanger entre eux, à cause du déficit d’infrastructures de transport, mais aussi de cadres juridiques, réglementaires ou fiscaux adéquats. Donc sur le principe, commencer en Afrique par un grand marché commun, ça semble juste en soi, mais à condition que l’évolution suive au niveau de l’intégration politique, ce qui signifie la mise en place simultanée d’instruments de gouvernance commune. Il paraitrait sans doute utopique de vouloir rapidement un état fédéral panafricain, créé ex-nihilo. En revanche, on peut prévoir des instrument adéquats comme un parlement africain réellement représentatif des peuples, doté d’un pouvoir législatif supranational.
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« L’intégration économique sans intégration politique, ça ne peut pas marcher très longtemps.»

L’Union Africaine ne peut pas se réduire à une grande zone de libre échange et 54 chefs d’Etats. L’intégration économique sans intégration politique, ça ne peut pas marcher très longtemps.
« L’Union Africaine ne peut pas se réduire à une grande zone de libre échange et 54 chefs d’Etats. L’intégration économique sans intégration politique, ça ne peut pas marcher très longtemps. »

AE : Mais l’intégration politique que l’Europe ne parvient pas à réaliser à 27, pensez-vous que l’Afrique peut la réaliser à 54 ?
GM : Ce ne sera pas facile, mais il faut bien commencer. A une toute autre échelle, la Suisse est un état composé de 23 entités très hétérogènes, avec des différences de langues, de traditions, de religions, comme l’Afrique aujourd’hui. Elle a commencé, il y a plusieurs siècles, par mettre en place une diète, c’est à dire un parlement représentatif des différents états qui ont appris à parler ensemble et à établir les première régles communes. Puis cette diète a participé à la nomination d’un exécutif.

AE : L’Union Africaine, qui est financée à 60% par les puissances étrangères, préconise une taxe de 0,2% sur toutes les importations du continent pour assurer son indépendance financière. Bonne idée ?
GM : C’est une excellente idée ! En Europe, je préconiserais plutôt d’appliquer cette taxe sur le transactions financières, parce que c’est une économie extrêmement tertiarisée. Pour l’Afrique, effectivement, étant donné sa dépendance à l’égard des importations, ça me semble une mesure très pertinente. En plus elle favorisera l’émergence d’une industrie continentale. Si on veut développer une gouvernance autonome, libre de toute influence et de subventions étrangères, il faut bien sûr un financement autonome. En l’occurrence, cette source de recettes serait même indépendante des systèmes fiscaux nationaux. On ne peut que saluer l’initiative.

AE : Quel regard portez-vous sur la gestion européenne de l’émigration ?
GM : J’ai un point de vue assez radical sur ce sujet. Pour moi, l’émigration actuelle est simplement une nouvelle forme d’esclavage. Personne n’émigre sans y être contraint. En réalité, ce sont les pays développés qui importent de la main d’œuvre à bon marché. Il faut naturellement secourir les migrants et les traiter le plus humainement possible, mais il faut aussi lutter contre les migrations qui servent en réalité les intérêts des économies développées. Si on établissait un rapport économique plus équitable avec l’Afrique, il n’y aurait pas de problème de migrations.
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« Pour moi, l’émigration actuelle est simplement une nouvelle forme d’esclavage.»

L’esclavage a servi à fournir de la main d’œuvre gratuite, entre autres dans les plantations des Amériques. A mon avis, l’émigration aujourd’hui, c’est un peu la même chose, sauf que l’habillage politique est plus sophistiqué.

AE : Les Accords de Cotonou arrivent à leur terme l’an prochain. L’Union Européenne et les pays ACP ont ouvert les négociations pour la prochaine période. Auriez-vous un ou deux tuyaux à passer aux négociateurs africains ?
GM : Je n’ai pas vraiment de conseil à leur donner, sauf qu’il faut rester aussi unis que possible. L’intérêt des autres continents est de diviser l’Afrique. L’intérêt de l’Afrique est de rester unie.
A part ça, je dirais que, d’une manière générale, pour bien négocier il ne faut pas partir perdant. Et quand on traine toutes les difficultés de l’Afrique, et qu’en même temps, on ne dispose pas de tout l’arsenal d’expertises de l’adversaire, on peut avoir tendance à partir perdant. D’autant plus que les pays Africains, et plus généralement les pays du Sud, ne se rendent pas toujours compte de leurs forces. En réalité, les pays du Nord sont très dépendants du Sud, bien sûr pour les ressources naturelles, mais pas seulement. L’Europe est en train d’épuiser son potentiel, alors que l’Afrique, commence seulement à prendre conscience du sien. Paradoxalement, dans cette négociation, c’est davantage l’Europe qui joue son avenir, que l’Afrique.
Propos recueillis par Dominique Flaux
Par Ecofin Hebdo


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