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Un Africain qui séjourne stablement en Europe est un cadavre chaud de Jean-Paul Pougala

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Un Africain qui séjourne stablement en Europe est un cadavre chaud
de Jean-Paul Pougala
Cette photo a été prise le 17 Octobre 1987. Je suis le 4ème sur la droite. Nous sommes 2 jours après le drame qui nous a frappés : le 15 Octobre 1987, Thomas Sankara, que le système vilipendait comme un Dictateur Africain, est assassiné par son propre cousin : Blaise Compaoré; qui va le remplacer à la tête de l'Etat burkinabé. Ce drame va marquer un tournant dans la perception que j'ai des choses et des réalités internationales.
J'avais été très choqué par la couverture médiatique très à charge, de ce drame par la presse et de les télévisions italiennes. Ils étaient tous unanimes à dire qu'au lieu de gouverner, Thomas Sankara passait le temps à écraser son propre peuple qu'il obligeait à aller à la plantation. Et le reste de son temps servait à accuser l'Europe de leur pauvreté.
Le pire dans tout ça est qu'il y avait des africains qui répétaient un tel refrain mensonger. C'est là où j'ai décidé de ne plus juste me contenter de mes études, mais de devenir un vrai activiste pour sensibiliser les africains à la fierté d'être eux-mêmes et surtout, au retour au pays, dès leurs études terminées.
Le discrédit lancé contre Sankara m'avait fait comprendre qu'aux yeux des européens, les africains n'étaient pas plus que des pions qu'il faut pousser quand cela leur convient et vers quelle case cela les arrange. Et que la seule manière pour ne pas être ce pion dont les européens vont se servir tôt ou tard lorsqu'ils voudront, il valait mieux être dans l'avion pour retourner en Afrique, la semaine même de sa soutenance. Désormais ma cible était connue, la communauté des étudiants africains de Pérugia.
Nous passions beaucoup de temps à débattre entre nous de la communauté des étudiants africains de Perugia. On n'arrivait jamais à se mettre d'accord sur un thème, tellement nos positions étaient diamétralement opposées et pour lesquelles, ils me prenaient tous pour un fou.
Par exemple :
1) LES PRETENDUS DICTATEURS AFRICAINS
Pour eux, il y avait des dictateurs en Afrique. Je leur disais que la vraie dictature se trouvait en Italie, en Europe. Puisque tout y était figé d'avance; le peuple ne pouvait rien faire de spécial hors de ce qu'on lui avait imposé de faire, sinon, il paierait très cher sa tentative de rébellion. Ils me rétorquaient qu'au moins ici, on pouvait voter de choisir ses représentants.
Je leur répondait qu'il suffisait de bien ouvrir les yeux pour constater que nous n'étions que dans un cirque dans lequel une caste mafieuse fait croire au peuple qu'il est heureux parce qu'il les a choisis, puisque de toutes les façons, le peuple n'avait pas son mot à dire sur les noms qu'on lui proposait de voter encore moins sur les partis politiques à choisir. Il devait juste se limiter voter et donc, choisir ceux qu'on lui avait proposé et se taire.
Et qu'au final, chanter tous les jours qu'il y a des dictateurs en Afrique, n'était que de la pure prestidigitation dans laquelle l'Afrique n'était qu'un souffre-douleur qu'on utilisait pur mieux convaincre les italiens d'accepter sans broncher, la vraie dictature dans laquelle ils croupissaient.
Pire, je leur faisais remarquer qu'en nous poussant à parler des prétendus dictateurs africains, les européens avaient réussi à nous faire parler des hommes, oubliant de fait la vérité que ces hommes incarnaient un système, le système . Et ce n'est que lorsque ce système n'avait plus besoin d'eux qu'il nous le restituait avec des qualificatifs comme "dictateurs".
2) UN AFRICAIN DE LA DIASPORA EST UN CADAVRE CHAUD
La question du retour en Afrique après les études.
Pour tous mes camarades africains, il fallait, à la fin des études, trouver du travail dans une entreprise italienne ou dans les institutions italiennes pour avoir de l'expérience et un peu d'argent avant de rentrer en Afrique faire quelque chose pour son pays.
J'étais complètement en désaccord avec une telle position. Je me rendais compte au quotidien combien le fait d'étudier en Italie, était seul suffisant à travers la promotion de la merveilleuse image de l'Italie, pour nous abrutir et nous formater tous, dans notre subconscient, à la défense des intérêts de l'Italie et à aucun moment, nous n'étions conscients que plus d'années on passerait dans ce pays et plus on s'éloignerait de la construction mentale de la moindre image positive du continent africain. Sans laquelle image positive, aucun apport pour développer son pays africain n'aurait été possible.
Je faisais constater à mes interlocuteurs de ce qui était arrivé à nos prédécesseurs. C'était ceux restés ou rentrés en Afrique qui avaient fait l'histoire africaine connue jusqu'à ce moment là. Tous ceux qui étaient restés en Europe à la fin de leurs études, avaient été effacés par le système et leurs noms n'apparaissaient nulle part dans les livres d'histoire.
Tout simplement parce qu'il est impossible de servir le maître pendant des années et espérer rentrer enseigner aux autres à s'en débarrasser. Je leur disais qu'il était très naïf de l'espérer, car on oubliait que chaque jour passé dans une entreprise italienne ou dans une institution italienne aurait renforcé notre esprit de soumission au maître et éloigné tout esprit d'orgueil personnel et de dignité.
Et à force de s'effacer devant le maître, on finit par s'effacer devant l'histoire elle-même. Je concluais avec une phrase qu'ils ne voulaient pas entendre : "tout africain qui reste en Europe après ses études est un cadavre chaud". Il ne sert ni à lui-même, ni à son pays, encore moins à l'Italie-même, qui n'a fait que le neutraliser en l'employant sur son sol.
3) FALLAIT-IL OUI OU NON EPOUSER UNE FEMME ITALIENNE ?
Mes camarades étaient presque tous pressés pour trouver une jolie italienne à épouser, pour disaient-ils avoir les papiers autorisant à rester dans le pays après les études. Moi au contraire, j'étais convaincu qu'il revenait à l'intellectuel africain de valoriser la femme africaine. Et pour moi, le mot "valoriser" n'était pas qu'un slogan qu'on devait scander dans les poésies comme l'ancien président sénégalais Senghor qui avait écrit une belle poésie pour célébrer la beauté de la femme africaine, mais au moment le plus important pour un homme, de choisir la compagne pour la vie, il était subitement devenu daltonien et a confondu la couleur noire qu'il scandait d'adorer avec le rose, pour au final choisir la Normandie française et non son Sénégal natal.
Tous me rétorquaient presque en chœur que pour réussir en Afrique, il fallait avoir épousé une femme blanche. Ils me donnaient plusieurs exemples pour cela. Ils allaient même plus loin en m'expliquant que certains intellectuels africains avaient été aidés dans leur bataille pour l'Afrique, par leurs épouses françaises, notamment Cheick Anta Diop au Sénégal, Mongo Beti au Cameroun etc. Et je n'arrivais pas à les convaincre du fait que cela discréditait plutôt la profondeur de leur travail, car il y aurait toujours eu un doute que c'est la femme blanche qui avait abattu tout ce travail en back stage.
C'est terrible, lorsque ce sont des intellectuels qui au lieu de se focaliser sur leur mission de rentrer changer en positif leur vie et celle des autres, s'abandonnent aux problèmes sentimentaux, émotionnels, loin de leurs pays.
Mais il y avait pire à l'époque, une mode à ses débuts : des noirs qui voulaient s'éclaircir la peau pour ressembler aux blancs. Pour ces gens, avoir une femme blanche leur permettait de diluer leur couleur sombre de la peau vers quelque chose de plus clair. Ils étaient confiants à tort que leurs enfants ainsi dilués auraient plus de chance de s'intégrer avec les blancs.
Là aussi, on ne pouvait pas être d'accord. Je croyais que si quelqu'un n'est pas fier de lui-même, de ce qu'il est, de ce qu'ont été ses ancêtres, il ne sera jamais rien de positif pour lui-même, encore moins pour les enfants à couleurs diluées (métis) qu'ils allaient générer. Mais, il fallait encore qu'on se mette d'accord sur les termes comme "réussir dans la vie avec une blanche" ou "s'intégrer". On réussissait comment ? cela me faisait penser à ces naïfs qui s'inscrivaient dans les loges ésotériques maçonniques et rosicruciennes selon eux pour réussir dans la vie. Pouvait-on être plus bête ?
(...)
extrait de "In fuga dalle tenebre" de Jan-Paul Pougala
Einaudi 2007 (Mondadori)

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