Il y a longtemps que le chef de l’État a appris à faire fi des critiques. Qu’il s’agisse de la situation en
RDC, des relations avec Paris ou de sa longévité au pouvoir, le président en exercice de l’UA défend ses positions. Et pointe du doigt les « donneurs de leçons ».Animatrice, productrice, humoriste et lesbienne revendiquée depuis plus de vingt ans, Ellen DeGeneres est une star absolue aux États-Unis. Mais en cette matinée du mois de mai, alors qu’elle sort avec sa compagne d’un long entretien avec Paul Kagame à Urugwiro Village, le siège de la présidence, elle s’avoue toute petite dans ses baskets blanches et son jean noir.
Comme bien d’autres people avant elle, en particulier américains et britanniques, la voici ipso facto transformée en ambassadrice du « Visit Rwanda », que porteront dès le mois d’août sur leur maillot les joueurs du club de football d’Arsenal.
Pas de doute : à 60 ans, le maître du Rwanda n’a rien perdu de son charisme ni de son pouvoir de séduction.Toujours aussi arachnéen, avec une voix qui murmure plus qu’elle ne parle – ce qui fait que chacun de ses mots semble peser – Paul Kagame imprime et impressionne, intimide et effraie, charme et convainc, c’est selon.
Pour celui qui est arrivé au pouvoir sur les fosses communes d’un génocide, celui des Tutsis, qui a fait disparaître près de 15 % de la population en cent jours, la démocratie est beaucoup plus une affaire d’accès aux calories, à l’éducation, à la santé, au développement et à la justice communautaire qu’aux bureaux de vote.
Sur le premier plan, les réussites sautent aux yeux : le Rwanda parvenant à tirer le maximum de progrès sociaux d’un minimum de ressources. Sur le second, le score de 98,7 % avec lequel il a été réélu en 2017 ne finira sans doute jamais d’interloquer ceux qui s’interrogent face à un tel unanimisme, même dans un pays politiquement centralisé depuis le XVIe siècle.
Paul Kagame le sait, mais il a décidé de ne plus en avoir cure, lui qui est convaincu de présider aux destinées d’un pays différent des autres. Celui qui est aussi, pour cette année 2018, le président en exercice d’une Union africaine en pleine recomposition, a reçu JA le 30 mai dans un salon de la présidence – sobre, hyperfonctionnelle, connectée et écologique – à Kigali.
Jeune Afrique : Lors de l’élection d’Emmanuel Macron, en mai 2017, vous déclariez à JA que l’attitude de la France à l’égard du Rwanda ne changerait pas tant que la France n’aurait pas changé d’attitude vis-à-vis de l’Afrique en général. Et que si vous aviez un conseil à formuler au nouveau président ce serait de regarder l’Histoire en face. Un an plus tard, où en est-on ?
Paul Kagame : Ce que vous mentionnez ne relève pas des choses qui changent en l’espace d’une nuit, mais de tout un processus. Le fait que le président Macron et moi nous nous soyons vus à plusieurs reprises depuis un an, avec chaque fois des discussions productives concernant la sécurité et le développement du continent africain, domaines dans lesquels la France a un rôle à jouer, constitue un pas important.
Le président Macron a introduit une dose de fraîcheur à la fois en politique intérieure française et dans les relations entre la France et le reste du monde, dont l’Afrique. Cela aide et cela change par rapport aux positions néocoloniales d’antan. Je n’ai certes aucune garantie à propos de quoi que ce soit, mais cette attitude nouvelle est encourageante et doit être encouragée.
Emmanuel Macron et vous avez apparemment décidé de laisser de côté les dossiers qui fâchent, notamment l’enquête française sur l’attentat du 6 avril 1994, dont les conclusions se font toujours attendre et dans le cadre de laquelle sept citoyens rwandais, dont votre ministre de la Défense, James Kabarebe, sont mis en examen depuis 2010. Une vraie réconciliation est-elle possible dans ces conditions ?
Notre position sur ce dossier est connue, et ce n’est pas le fait de la répéter une fois de plus qui produira des résultats. Je constate que notre relation bilatérale avec la France progresse sans publicité inutile dans le bon sens, et je veux croire que ces progrès aideront à déverrouiller l’aspect que vous évoquez. Ce qui ne signifie évidemment pas que nous n’y accordons pas d’importance.
Faute d’agrément de votre part, la France n’a plus d’ambassadeur à Kigali depuis trois ans. N’est-il pas temps de pallier cette vacance ?
Je viens de vous le dire : tout est lié, y compris cela. Est-ce une affaire de semaines ou de mois ? Nous verrons. L’essentiel est que nous progressions dans la bonne direction – ce qui est le cas.
Si la Francophonie veut s’ouvrir à la diversité et s’internationaliser, Louise Mushikiwabo est la candidate idéale
Votre ministre des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, est candidate au poste de secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie, avec entre autres le soutien de la France. Qui a eu l’idée de cette candidature ? Vous-même ?
Non, pas particulièrement. L’idée est venue d’un groupe de gens de diverses origines, soucieux de l’avenir de l’OIF. En tant que président d’un pays qui, en dépit des problèmes que nous avons pu avoir avec la France, n’a jamais cessé d’être membre de cette organisation, j’ai trouvé l’idée intéressante. Louise est africaine, parfaitement bilingue français-anglais et professionnelle : si la Francophonie veut s’ouvrir à la diversité et s’internationaliser au-delà d’un cercle étroit de pays, elle est la candidate idéale.
L’élection aura lieu dans cinq mois à Erevan, en Arménie. Comptez-vous faire campagne auprès de vos pairs ?
Louise Mushikiwabo bénéficie et bénéficiera de tout mon soutien, ainsi que de celui des autres chefs d’État africains.
Pour ceux qui, en France notamment, persistent à voir en vous le Tutsi anglophone venu d’Ouganda pour déstabiliser le pré carré francophone, cette candidature est une aberration…
Ce qui est aberrant, c’est de croire encore, en 2018, que le Rwanda puisse appartenir à qui que ce soit d’autre qu’aux Rwandais. Les gens ou les lobbies dont vous parlez sont prisonniers de leur propre passé. Il ne nous appartient pas de les en délivrer.
Où en est le processus de réforme de l’Union africaine que vous pilotez depuis près de deux ans ?
Mes pairs m’ont mandaté pour cela avant même que je devienne le président en exercice de l’UA, et le fait qu’ils aient admis la nécessité d’une réforme en profondeur était déjà une excellente base de travail. Mon job, depuis, est simple : parler avec eux, les écouter, tenir compte de leurs idées et avancer sur la voie d’une indépendance et d’une crédibilité réelles et concrètes de notre organisation.
Cette indépendance est d’abord financière : jamais les fonds endogènes consacrés aux capacités de prévention et d’intervention de nos forces de maintien de la paix n’ont été à un niveau aussi élevé qu’ils le sont aujourd’hui.
Même chose pour les fonds destinés à la réduction de la dépendance de la Commission de l’UA vis-à-vis de l’aide étrangère. Indépendance économique ensuite : l’accord de zone de libre-échange continentale [Zlec] a enfin vu le jour en mars à Kigali, c’est un progrès historique.
Sauf que le Nigeria, première économie du continent, refuse toujours d’y adhérer…
Peu importe : 44 des 54 pays membres de l’UA ont déjà signé l’accord portant création de la Zlec. D’autres ont encore besoin d’un temps de réflexion et d’adaptation, mais ils y viendront. C’est dans leur intérêt et dans l’intérêt du continent auquel ils appartiennent.
Vos méthodes de travail posent problème à certains. On vous reproche un manque de concertation, le secret qui entoure le comité de pilotage et votre volonté affichée d’aller vite. Pensez-vous pouvoir gérer une institution aussi politique – et bureaucratique – que l’UA comme vous gérez le Rwanda ?
Je suis évidemment conscient du caractère très politique de l’UA. Mais vouloir aller vite n’est pas une mauvaise idée, à condition de ne pas brusquer les choses. La lenteur n’a jamais été une vertu à mes yeux. Pour le reste, je ne cesse de communiquer, de produire des rapports, de tenir des réunions avec les leaders africains sur le sujet des réformes.
Chaque fois, l’accueil est favorable. Si certains, après m’avoir applaudi, me critiquent dans mon dos, ce n’est pas mon problème, c’est le leur. Cette grande réforme de l’UA n’est pas l’affaire de Kagame seul, c’est l’affaire de tous. À chacun d’y prendre sa part.
En 1994, ce qui s’appelait encore l’OUA s’est montré totalement passif lors du génocide des Tutsis du Rwanda. Si un tel drame se reproduisait aujourd’hui, l’UA serait-elle en mesure matériellement et moralement d’y faire face ?
En 1994, ce n’est pas seulement l’OUA, c’est toute la communauté internationale qui a failli
Je l’ignore. Le monde est un endroit étrange parfois, et l’Afrique en fait partie. En 1994, ce n’est pas seulement l’OUA, c’est toute la communauté internationale qui a failli. Ce à quoi nous nous attelons aujourd’hui, c’est à faire en sorte qu’au minimum l’UA ait la capacité d’agir pour prévenir de tels événements.
La situation intérieure du Burundi demeure très préoccupante. Que recommandez-vous, en tant que président de l’UA et en tant que voisin ?
Je n’ai pas de prescription particulière à délivrer pour le Burundi. En premier comme en dernier ressort, il revient aux Burundais et à eux seuls de résoudre leurs propres problèmes, même si ceux-ci ont des répercussions sur notre propre sécurité. Idem en ce qui concerne la République démocratique du Congo.
Mon rôle en tant que président de l’UA est de mutualiser et de maximiser les efforts pour aider à résoudre les crises, ce n’est pas d’agir à la place des principaux concernés.
Pensez-vous, comme la plupart des observateurs, que l’accord de paix d’Arusha sur le Burundi est désormais enterré ?
Peut-être. Je ne sais pas.
De toute façon, le partage du pouvoir en fonction de quotas ethniques n’a jamais été une option pour vous…
Comme nul ne l’ignore, ce n’est pas le choix que les Rwandais ont fait pour eux-mêmes.
Tout ce que nous souhaitons, […] c’est que ces accords conclus entre Congolais soient respectés par leurs signataires
Y a-t-il une initiative commune tripartite France-Angola-Rwanda à propos de la RDC ?
Si initiative il y a, elle n’implique pas que ces trois pays. La région, l’Afrique, mais aussi les États-Unis, l’Europe, la Chine, la Russie se préoccupent de ce qui se passe en RDC. La stabilité de ce pays concerne ses voisins, les voisins de ses voisins, ainsi que leurs partenaires extérieurs.
À ce titre, la situation congolaise impacte l’Angola et le Rwanda, en tant que frontaliers, et la France, en tant que partenaire ayant des intérêts économiques en Afrique centrale. Mais parler d’un axe hostile formé par ces trois pays relève soit de l’imagination, soit du prétexte pour détourner l’attention des vrais problèmes.
Le président angolais, João Lourenço, a été clair : l’élection présidentielle devra se tenir le 23 décembre, sans Joseph Kabila. Diriez-vous la même chose ?
Mais il s’agit là de ce dont les Congolais eux-mêmes ont convenu ! Ni le président Lourenço ni moi-même ne sommes partie prenante des accords de la Saint-Sylvestre. Tout ce que nous souhaitons, en tant que voisins concernés parce que potentiellement affectés, c’est que ces accords conclus entre Congolais soient respectés par leurs signataires.
Les autorités de Kinshasa sont très sourcilleuses vis-à-vis de tout ce qui relève de leur souveraineté. C’est une attitude que vous devriez comprendre…
Certes. Mais ces mêmes autorités devraient faire en sorte que les problèmes que rencontre leur pays n’interfèrent pas sur la souveraineté de leurs voisins. Si la RDC implose, le Rwanda risque la submersion.
Présent fin avril à Kigali, l’opposant Moïse Katumbi a publiquement défié Joseph Kabila. Était-ce le bon endroit où tenir ce genre de propos ?
Si vous signifiez par là qu’il eût été préférable que Moïse Katumbi formule ces propos dans son propre pays, je suis d’accord. Mais suis-je responsable du fait qu’il n’y retourne pas ? Kigali est-il le seul endroit où il s’est exprimé ainsi ? Les problèmes de Katumbi ne concernent que lui, le Congo et le président congolais.
Pour le reste, il n’était pas l’invité du Rwanda mais celui de la Fondation Mo Ibrahim, qui organisait à Kigali la remise de son prix. Les accords entre cette fondation et les pays hôtes de la cérémonie stipulent que cette dernière est libre d’y convier qui elle souhaite.
Quel motif aurions-nous eu d’interdire à Katumbi l’entrée au Rwanda ?
Quel motif aurions-nous eu d’interdire à Katumbi l’entrée au Rwanda ? Katumbi est peut-être persona non grata dans son pays, mais il ne l’est pas ici ni ailleurs, à ma connaissance. Il voyage partout, et il n’y a qu’au Rwanda qu’apparemment cela pose problème.
En Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa a succédé à Jacob Zuma, avec qui votre entente était loin d’être parfaite. Une bonne nouvelle pour le Rwanda ?
Une bonne nouvelle pour l’Afrique du Sud tout d’abord. Mais aussi pour le Rwanda, compte tenu du contexte que vous venez de décrire.
L’ex-général Kayumba Nyamwasa, qui est l’un de vos principaux opposants, est réfugié dans ce pays, où il mène ses activités politiques. Comptez-vous évoquer ce cas avec le président Ramaphosa ?
Nous verrons. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée pour un État, quel qu’il soit, d’abriter un fugitif et de l’autoriser à tenter de déstabiliser son pays d’origine. Nous allons donc continuer à signifier au gouvernement sud-africain notre souhait de le voir traiter ce cas, sans en faire pour autant une précondition à l’amélioration de nos relations.
On a beaucoup glosé sur un éventuel accord secret entre le Rwanda et l’Ouganda, d’une part, et Israël, de l’autre, pour la réimplantation chez vous, contre rémunération, des migrants africains dont l’État hébreu cherchait à se débarrasser. Avant que la Cour suprême israélienne oblige le gouvernement de Benyamin Netanyahou à y renoncer. Quelle est votre version de cette affaire ?
Elle est simple et transparente. D’une part, notre relation avec Israël est excellente, de l’autre le Rwanda est le premier pays à avoir décidé de dispenser de visa tous les ressortissants africains.
Sur cette base, la discussion que nous avons eue avec les autorités israéliennes était la suivante : si ces dernières voulaient, pour des raisons qui les regardent, expulser les migrants africains, le Rwanda se proposait d’accueillir une partie d’entre eux, plutôt que de les voir se noyer en Méditerranée, être vendus comme esclaves en Libye ou abandonnés dans le désert du Sinaï.
Imaginer que le Rwanda ait pu chercher à se faire de l’argent sur le dos de la misère humaine est un non-sens et une insulte
Ces migrants pouvaient soit demeurer au Rwanda de façon temporaire, le temps de trouver un autre pays d’accueil ou de rentrer chez eux, soit s’y installer de manière permanente. Tout ce processus devait se dérouler dans le strict respect des lois humanitaires internationales, et il n’y a jamais eu d’autre condition financière que la prise en charge normale, par l’État d’Israël, du coût du transport et de l’implantation des structures d’accueil.
La controverse qui a eu lieu était purement israélo-israélienne, entre les partisans de l’expulsion et ceux qui s’y sont opposés avec succès. Elle ne nous concernait absolument pas. Imaginer une seconde que le Rwanda ait pu chercher à se faire de l’argent sur le dos de la misère humaine est un non-sens et une insulte.
Approuvez-vous le transfert à Jérusalem de l’ambassade américaine en Israël ?
Je n’ai pas à approuver ou à désapprouver. Ce n’est pas mon affaire, ni celle du Rwanda.
Le président Donald Trump a produit quelques tweets offensants à l’égard des Africains. Partagez-vous l’indignation de beaucoup de ces derniers ?
Là encore, je n’ai pas de jugement. L’Afrique et le Rwanda doivent gérer leurs propres affaires en rapport avec leurs propres intérêts, sans se préoccuper de ce genre de commentaires.
Il n’est pas dans le pouvoir des Africains de faire cesser les offenses subies. Il est en revanche en leur pouvoir de ne pas les mériter
On a encore trop tendance à se conformer à ce qui se dit à l’extérieur et non pas à agir en fonction de nous-mêmes. Nous, Rwandais, avons une longue habitude des offenses subies. Il n’est pas dans le pouvoir des Africains de les faire cesser. Il est en revanche en leur pouvoir de ne pas les mériter.
Lors d’un colloque aux États-Unis, en mars, vous avez répondu au politologue Ian Bremmer, qui vous interrogeait : « Moins le monde prête attention à l’Afrique, mieux l’Afrique se porte. » Que vouliez-vous dire ?
Ceci : moins le monde se préoccupe de nous, plus nous sommes en mesure de nous préoccuper de nous-mêmes. Nous devons comprendre que le temps du baby-sitting est révolu et que nous ne grandirons jamais tant que nous estimerons avoir un besoin éternel de baby-sitters européens, américains, asiatiques ou autres.
D’autant que ce baby-sitting implique toujours une forme profonde de paternalisme. Quand j’entends certains de vos confrères journalistes asséner leurs jugements et leurs conseils avec une autorité inversement proportionnelle à leur expertise, je m’interroge.
Quand vous répétez qu’il n’entrait pas dans vos intentions de modifier la Constitution et de vous représenter en 2017, mais que ce sont les Rwandais qui en ont décidé autrement, comprenez-vous que cela soit difficile à croire ?
Sans doute. Mais cela m’est égal, car la réalité est têtue. Si les Rwandais n’avaient pas souhaité que je reste pour un mandat de plus, il me serait arrivé ce qui est arrivé à ceux qui ont une mauvaise conception du pouvoir, une mauvaise utilisation de la gouvernance, un mauvais bilan et qui malgré cela persistent à vouloir rester en place. L’instabilité, la violence, la chute.
Je sais bien que certains ont reproché à la communauté internationale de faire pression sur les présidents Kabila et Nkurunziza et pas sur moi. Mais y a-t-il de l’instabilité au Rwanda et de la stabilité au Burundi et au Congo ? Poser cette question, c’est y répondre.
Les Rwandais ont opté pour la continuité, et chacun peut constater le climat de paix qui règne ici
Enfin, au Rwanda, comme d’ailleurs au Congo ou au Burundi, c’est aux peuples qu’il appartient de décider de leur avenir. Les Rwandais ont opté pour la continuité, et chacun peut constater le climat de paix qui règne ici. Citez-moi un seul exemple de pays dont le leader s’accroche au pouvoir contre la volonté de la population et qui, en dépit de cela, demeure parfaitement stable. Je n’en connais aucun.
La Constitution vous autorise à briguer deux autres mandats de cinq ans à l’issue de l’actuel, qui expire en 2024. Quand viendra l’heure de votre succession ?
Quand les motifs qui ont poussé les Rwandais à me demander de continuer auront, à leur entendement, trouvé leur solution : sécurité, santé, pauvreté, émergence économique, etc. C’est cela le déterminant et non le couperet d’un term limit décidé arbitrairement, artificiellement et le plus souvent de l’extérieur.
Vous nous disiez, il y a un an : « Ce mandat sera probablement mon dernier. » Le rediriez-vous aujourd’hui ?
Oui. Mais laissez-moi vous préciser ceci : je n’ai jamais imaginé devenir président de ce pays. Si telle avait été mon intention, je le serais devenu dès 1994, après que nous avons écrasé les forces génocidaires. Qui aurait pu alors m’en empêcher ? Le FPR ? Pasteur Bizimungu ? Rien, ni personne.
En 2017, le peuple ne m’a pas donné un mandat perpétuel
Ce sont les circonstances et les Rwandais qui ont fait que j’ai accédé à ce poste six ans plus tard. Ce sont les circonstances et les Rwandais qui ont fait que j’ai été, depuis, élu et réélu. En 2017, le peuple ne m’a pas donné un mandat perpétuel, il a juste souhaité qu’on lui accorde encore un peu de temps, celui de la transition. Pourquoi ne pas me croire ?
Depuis près de deux décennies, les critiques formulées à votre encontre ne varient jamais : vous étouffez tout débat politique et toute liberté d’expression, vous dirigez un État policier, vous concentrez tout le pouvoir entre vos mains et celles de votre parti… Cette répétitivité ne vous interpelle-t-elle pas ?
J’ai appris à coexister avec ce genre de critiques, tout comme mon successeur et le successeur de mon successeur coexisteront sans doute avec elles. Je n’éprouve plus aucun besoin de convaincre ceux qui les répètent qu’ils se trompent et qu’ils trompent l’opinion, ce serait une perte de temps.
Ce qui compte, c’est que nous sommes, nous, absolument convaincus de la justesse de ce que nous faisons, de notre droit à le faire et des résultats que nous produisons. Libre à eux de penser que le Rwanda n’est pas un pays normal – peut-être, après tout – et qu’il se portait mieux sous Habyarimana et avant. Que chacun continue son chemin, nous ne dévierons pas de celui que nous avons choisi.
Il y a trois mois, votre gouvernement a fait fermer un millier d’églises de réveil et une centaine de mosquées à travers tout le Rwanda. Avez-vous déclaré la guerre à la religion ?
Évidemment pas. Le problème est le suivant : d’abord le nombre. Alors que, rien qu’à Kigali, 700 lieux de culte ont été fermés, il en reste des dizaines. C’est évidemment trop. La liberté de culte ne saurait conduire à un tel excès.
Ensuite : les plaintes continuelles des habitants face au tapage diurne et nocturne émanant de ces églises et les problèmes de sécurité civile posés par celles qui ne respectent pas les normes.
Enfin, les multiples cas d’extorsion de fonds, de racket, de ruines familiales engendrés par l’activité de pasteurs indélicats. Il fallait mettre de l’ordre dans ce foisonnement anarchique et imposer des règles d’implantation et de fonctionnement. C’est ce que nous avons fait.
M. Twagiramungu veut un passeport, mais pour vivre où ?
Pourquoi l’ancien Premier ministre et désormais opposant Faustin Twagiramungu, qui vit en Belgique, se voit-il toujours refuser son passeport rwandais ? Ce n’est pas un ex-génocidaire, et vous avez toujours déclaré que tout originaire de ce pays pouvait y revenir.
C’est exact. Mais quelle est votre question ? M. Twagiramungu veut un passeport, mais pour vivre où ? En Belgique, dont il possède la nationalité et où manifestement il se plaît ? Dans ce cas, il n’a pas besoin d’un passeport rwandais pour se rendre ici : un visa lui sera délivré à l’arrivée. Pour s’installer au Rwanda ? Dans ce cas, son passeport lui sera remis à Kigali. C’est aussi simple que cela.
Question indiscrète : j’ai appris que vous vous étiez fait faire un test ADN. Pour quelle raison ?
C’était censé rester confidentiel, mais bon, je vais vous le dire : par curiosité scientifique, rien de plus.
Que vous a-t-il révélé ?
Un mélange génétique complexe : africain, européen, asiatique, tutsi, hutu…
Intéressant, pour quelqu’un que l’on dépeint parfois en archétype du « Tutsi power » !
Comme quoi ces lubies racistes ne résistent pas aux tests ADN. Je suis un être humain qui considère ses semblables comme des êtres humains, peu importe s’ils croient en la création de l’homme ou en son évolution. Je suis ainsi, pas autrement.
Source: Jeune Afrique
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