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RDC – Vital Kamerhe : « Même à l’époque de Mobutu, jamais l’armée ni la police n’avaient tiré ainsi à bout portant dans une église »

Comme plusieurs leaders de l'opposition congolaise, Vital Kamerhe a pris part ce dimanche à une
messe qui devait être suivie d'une marche de chrétiens pour réclamer l'application de l'accord de la Saint Sylvestre. C'était sans compter sur l'intervention musclée et inédite des forces de l'ordre dans des églises. Entretien.
C’est en empruntant sentiers et petits chemins que Vital Kamerhe a pu se rendre ce dimanche 31 décembre à la paroisse Saint Michel de Bandalungwa, dans le centre de Kinshasa. Mais la messe a été brutalement interrompue après l’intervention des forces de l’ordre qui ont lancé des gaz lacrymogènes en plein culte, selon plusieurs témoignages concordants. Même incident signalé dans plusieurs autres paroisses de la capitale de la RDC.
À l’appel du Comité laïc de coordination de l’Église catholique, des marches des chrétiens étaient prévues à la sortie des églises pour réclamer la mise en oeuvre intégrale de l’accord politique de la Saint-Sylvestre, conclut il y a une année jour pour jour entre l’opposition et le camp du président Joseph Kabila. Pour empêcher ces manifestations, un dispositif sécuritaire renforcé a été déployé devant plusieurs paroisses de Kinshasa et des coins chauds de la capitale. Internet et SMS ont été suspendus sur toute l’étendue du territoire national.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui s’est passé pendant la messe à la paroisse Saint Michel de Bandalungwa ?
Vital Kamerhe : À la paroisse Saint Michel où j’assistais à la messe, cela est arrivé juste au moment où venait de se terminer la lecture du texte qui parlait d’Abraham et de son fils. Personne n’avait provoqué personne. Les forces de l’ordre sont intervenues tout simplement parce que nous étions là, au regard de l’engouement à l’extérieur. Il y avait des gens de part et d’autre jusqu’à quelque 300 mètres de la paroisse. Une foule nombreuse. La Monusco est venue mais les militaires l’ont empêchée de venir sécuriser l’église.
C’est une barbarie d’un autre genre !
Ce qui nous fait dire que c’était un plan bien calculé : il fallait tirer sur tout ce qui bouge dans l’église. Ce que les policiers et militaires ont fait. Tout est devenu noir dans l’église, des fidèles couchés par terre. On a dû soigner le prêtre qui officiait la messe en pleine messe dans le noir. C’est une barbarie d’un autre genre ! Nous n’avons jamais vu ça depuis 1960. Même à l’époque de Mobutu, jamais l’armée ni la police n’avaient tiré à bout portant ou lancé des gaz lacrymogènes dans l’église. C’est inacceptable !
La messe a été ainsi interrompue pendant une heure de temps. J’ai demandé ensuite au curé de reprendre la messe. Un major est entré pour me dire qu’il avait reçu l’ordre de me prendre et de me faire sortir. J’ai refusé. Finalement, je suis sorti avec la foule et nous avons marché quelque 200 mètres avant d’être dispersés par des gaz lacrymogènes et des tirs à balles réelles.
Êtes-vous sorti sain et sauf après cette intervention des forces de l’ordre ? 
Ce n’est pas facile de me bousculer. J’avais une ceinture d’une marée humaine incroyable. Pour m’atteindre, il fallait tuer au moins 500 personnes. Et ces forces de l’ordre et de sécurité savent très bien que devant les gaz lacrymogènes ou les balles réelles, Kamerhe ne recule pas. Je suis habitué à tout ça. Un militant est même venu me frotter de la margarine sur mon visage pour me protéger des gaz lacrymogène, je lui ai dit que je n’avais pas besoin.
La fin pour Joseph Kabila est arrivée. Ce qui s’est passé aujourd’hui, c’est le début de quelque chose d’important
Quelle a été la situation des autres paroisses de Kinshasa ?
À Ngaba, on aurait tué des gens, d’après les premières informations qui nous parviennent du Comité laïc de coordination de l’église catholique. Il en serait de même à Kabinda, Kabambare, Matete… Une chose est sûre : aujourd’hui la population congolaise se réveille et libère son avenir. Si les images satellites pouvaient parvenir à toutes les chaînes de télé du monde – parce que les autorités ont coupé internet dans le pays -, vous verriez comment les gens sont descendus dans plusieurs rues de la capitale. Accompagnés par endroits de certains prêtres, malgré les balles. Le curé de Matete qui marchait avec des fidèles, a été brièvement enlevé par la Garde républicaine. À N’Djili, dans la paroisse Saint-Pierre, des gens sont enfermés dans l’enclos.
En fait, c’est la panique dans le camp de Joseph Kabila. Notre message est donc passé : avec son armée et sa police, il ne peut pas être plus fort que le peuple. Chaque chose a un début et une fin. Et la fin pour Joseph Kabila est arrivée. Ce qui s’est passé aujourd’hui, c’est le début de quelque chose d’important.
Qu’est-ce qui va se passer à partir de maintenant ?
La seule voie qui s’impose à nous est celle de nous mettre ensemble pour chasser cette dictature abjecte de Kabila. C’est pourquoi je voudrais interpeller de la manière la plus claire l’UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social). Ses tergiversations de ne pas vouloir être avec les autres en les accusant de « collabo » font le jeu de Kabila. Car ce n’est pas un « collabo de Kabila » qui allait donner du fil à retordre à la Garde républicaine à Bandalungwa. Moïse Katumbi, Jean-Pierre Bemba, Mbusa Nyamwisi et même Félix Tshisekedi l’ont déjà compris. Il faut donc que les camarades du parti de ce dernier lui facilitent la tâche.
Je n’ai jamais quitté l’opposition
Ces réticences de certains cadres de l’UDPS s’expliqueraient sans doute par vos récents choix politiques. Vous vous êtes rapproché en effet du camp de Kabila à l’issue des pourparlers de la Cité de l’OUA avant de vous repositionner de nouveau aujourd’hui du côté de l’opposition. Avez-vous finalement l’impression d’avoir été floué par Kabila ?
Je n’ai jamais quitté l’opposition. De même qu’Étienne Tshisekedi n’avait pas quitté l’opposition pour avoir reçu le facilitateur Edem Kodjo à Bruxelles. Nous, nous avions voulu limiter les dégâts. Nous n’avons pas été floués, c’est Kabila qui est en train de se flouer lui-même.
Nous avons eu ce tort d’avoir été les premiers à comprendre qu’il fallait prendre Kabila dans son propre piège. Il fallait montrer au monde entier qu’il chante le dialogue mais qu’en réalité il ne veut pas du dialogue. Les autres nous ont suivis plus tard et tous nous avons signé un accord le 31 décembre 2016 avec Kabila. Si nous, qui avons signé avec Kabila le premier compromis de la Cité de l’OUA, sommes des traitres, alors nous tous qui avons conclu avec lui l’accord de la Saint-Sylvestre par la suite le sommes aussi. Étant pacifistes, nous avons voulu simplement épuiser toutes les voies. D’où cet appel pathétique que je lance à nous tous, grands leaders : adoptons un plan commun de combat contre Kabila.
Mais en même temps que nous combattons la dictature, nous ne devons pas être distraits. Nous devons maintenir la pression sur la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et mettre son président Corneille Nangaa et son équipe en garde : nous n’accepterons pas la machine à voter. Pour nous, c’est une question de vie ou de mort. Car même si Kabila doit partir, les élections ne se feront pas avec des machines à voter dont Nangaa a annoncé le début de la livraison. Ce sont des machines à tricher pour que Kabila place à la tête du pays n’importe qui, sa femme, sa sœur, son cousin…
Une année plus tard, que reste-t-il encore de l’accord de la Saint-Sylvestre ?
Il en reste l’impossibilité pour Kabila de recourir à un référendum constitutionnel. Nous devons obtenir l’application de toutes mesures de décrispation prévues : le retour de Moïse Katumbi et de Mbusa Nyamwisi, la libération de Jean-Claude Muyambo, de Diomi Ndongala et tous les autres prisonniers politiques. Nous devons également recouvrer notre liberté de nous exprimer et de manifester, avoir un accès libre aux médias et imposer ainsi la démocratie. La prolongation d’une année que nous avions donné à Kabila se termine ce 31 décembre à minuit. Sur base de quelle légitimité prendrait-il encore une quelconque décision ?
Le Conseil national de suivi de l’accord (CNSA), par Joseph Olenghankoy, a donné son aval pour le report du scrutin au-delà du délai d’une année initialement prévu…
(Rires). Est-ce celui qui a mis en garde quiconque se rendrait à l’église aujourd’hui ? C’est une caisse de résonance du pouvoir. Tout le monde le sait : le gouvernement n’existe pas, le CNSA n’existe pas. Leurs animateurs se sont distribué des poulets et du riz hier pour qu’ils mangent et que leurs ventres éclatent. Nous, nous sommes du côté du peuple qui est affamé.
Source: Jeune Afrique
 

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