Franck Hermann Ekra, analyste politique ivoirien et consultant en stratégies d'images proche du
PDCI, livre son point de vue sur les dynamiques qui traversent le parti d'Henri Konan Bédié, la recomposition à venir de la classe politique et l'élection d'Emmanuel Macron en France.Jeune Afrique : Une manifestation a été organisée le 13 juin contre les dernières nominations au sein du PDCI [Parti démocratique de Côte d’Ivoire, présidé par Henri Konan Bédié]. Pour quel motif ? Quelle signification peut-on donner à ces protestations ?
Franck Herman Ekra : Le président Bédié a entamé une restructuration de l’appareil de notre parti, donnant ainsi une suite favorable aux propositions du séminaire qui a rassemblé ses instances dirigeantes en avril 2017, en marge des commémorations du 71e anniversaire du PDCI-RDA. Une des revendications majeure de la base du parti, était de voir la direction tenir compte des enjeux de terrain. Les militants attendaient d’elle qu’elle fasse montre d’une plus grande capacité d’écoute, d’ouverture participative, et d’inclusion dans ses décisions. Qu’elle se montre en somme plus encline à la proximité. La nouvelle cartographie porte à 208 le nombre des délégations, contre 140 dans l’ancienne mouture, soit une plus grande déconcentration, ce qui à priori augurerait d’une amélioration de la gouvernance locale du parti. Cela étant, dans 6 délégations, le choix porté sur telle ou telle personnalité donne lieu à contestation.
Si l’on peut considérer comme satisfaisant le fait que le nombre de litiges soit résiduel, il n’en demeure pas moins que la forme de protestation choisie soit révélatrice d’une insidieuse culture de la défiance et de la mutinerie comme modalités d’action publique. Les mobiles de rejet sont également à lire comme des symptômes. Mis à part les habituels « procès en parachutage », les soupçons de compromission de délégués, parfois accusés d’être des « chevaux de Troie » du RDR (Rassemblement des républicains), portent à interrogation sur l’état de l’alliance électorale RHDP [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, NDLR], dans la perspective d’élections prévues en 2020. On peut en outre y voir un signe persistant de méfiance au sein du PDCI, en dépit de la clarification apportée par la direction du parti sur son intention de présenter un de ses militants à la magistrature suprême, de préserver son identité historique et son autonomie politique.
Plus globalement, le renouvellement de la classe politique ivoirienne semble sans cesse retardé…
Il est vrai que si l’on observe notre scène politique, l’impression d’une société gérontocratique prédomine du fait de la longévité des parcours. On pourrait oublier que la plupart de ces acteurs ont fait leurs premières armes dans leur prime jeunesse et qu’à l’époque du président Houphouët-Boigny, un parti comme le PDCI organisait son renouvellement, en dépit des résistances naturelles de la vieille garde… La présence d’une poignée de quadra et de très rares trentenaires dans les lieux de conception stratégique et de décision contraste avec l’évolution globale du reste de la société où ils assument des responsabilités managériales et des fonctions de conseil. Ils sont tributaires d’une société inadaptée à la conjoncture mondiale et bloquée. Leur expérience et leur maturité ne sont évidemment pas en cause.
Le renouveau attendu ne porte pas uniquement sur l’âge mais peut-être avant tout sur la rupture avec les réflexes de kleptocrates d’un ancien monde que les plus jeunes jugent corrompu
« L’appel au rajeunissement » remplit périodiquement une fonction cosmétique, d’affichage ! Ce phénomène n’est pas surprenant, la même frilosité prévaut à l’égard de la promotion de talents féminins. Lorsqu’elles sont jeunes, les femmes subissent une double discrimination. Le renouveau attendu ne porte cependant pas uniquement sur l’âge mais peut-être avant tout sur la rupture avec les réflexes de kleptocrates d’un ancien monde que les plus jeunes jugent clientéliste et corrompu. Les jeunes Ivoiriens sont à la recherche de nouveaux modèles, de nouvelles références, d’une nouvelle forme de lien civil égalitaire. Ils ont des exigences éthiques, écologiques et solidaires.
Quel impact a eu en Côte d’Ivoire l’élection du président français Emmanuel Macron, qui a reçu Alassane Ouattara dimanche dernier ?
L’opinion ivoirienne a bien accueilli ce changement de leadership et l’espoir qui l’accompagne. Il y a un courant de sympathie pour l’air de rafraîchissement dont le plus jeune président français de l’Histoire est porteur, mais cet optimisme est pondéré par une forme d’attentisme. La vision d’Emmanuel Macron sur la politique française en Côte d’Ivoire s’inscrit sans originalité, dans la filiation de celle de ses prédécesseurs. Dans son livre Révolution, Emmanuel Macron déclare en effet qu’ « en Afrique, la France doit continuer à jouer le rôle qu’elle a eu durant les dernières années ». Il poursuit : « Je tiens pour exemplaire notre intervention militaire ivoirienne sous mandat de l’ONU » . Chacun peut imaginer que ce point de vue clivant sur la guerre postélectorale d’avril 2011, ne fait pas l’unanimité dans un pays qui reste à réconcilier. L’opinion se fixe néanmoins sur l’aspect novateur de la démarche du jeune président, sur le chambardement du champ politique qu’il a provoqué et l’audace de sa conquête du pouvoir.
Il semble que Guillaume Soro [le président de l’Assemblée nationale] veuille s’en inspirer ?
Le parallèle qu’on établit, entre les deux hommes est à bien des égards abusif. Qu’il y ait une tentation mimétique n’est pas exclu. Que le diagnostic porté sur la viabilité des appareils politiques classiques, dans un nouveau rapport à l’opinion et au récit médiatique soit identique est probable. Mais, ils appartiennent l’un et l’autre à des univers idéologiques et des contextes sociologiques très différents. Le premier, Emmanuel Macron, est le produit de la méritocratie française que le sociologue Pierre Bourdieu identifiait comme une « noblesse d’État ». Le second, Guillaume Soro, est issu d’une interminable convulsion militaro-politique qui l’a porté à l’avant-scène. Emmanuel Macron s’est imposé dans le temps court. Guillaume Soro arpente les travées depuis vingt-cinq ans. Emmanuel Macron a opéré un véritable travail doctrinal, en vue de refonder l’espace politique français autour de la question prioritaire des libertés. Il n’y a à ce jour à ma connaissance, aucune ébauche d’une telle réflexion chez le président de l’Assemblée nationale ivoirienne. Emmanuelle Macron a par ailleurs construit son approche comme une refondation du socle régalien de la nation française sur l’échiquier européen. La Côte d’Ivoire doit quant à elle d’abord reconstruire un État républicain et consolider l’État-nation, face à la menace persistante d’une nation communautaire. Dans une telle configuration, tout ne peut pas se résumer aux effets de mode.
Source: Jeune Afrique
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