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[Chronique] Nigeria: Obasanjo, l'inusable homme de pouvoir

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De la prison aux ors du palais présidentiel, le général Obasanjo aura tout connu. L'ex-président nigérian est l'un des symboles les plus frappants de la mue politique du Nigeria. Des deux visages
politiques de ce pays. Il aura été tour à tour dictateur de 1976 à 1979, prisonnier du despote Sani Abacha de 1995 à 1998 et président élu de 1999 à 2007. Visage du retour du Nigeria à la démocratie. Et pourtant, il est loin d'appartenir au passé.
Aujourd'hui, Obasanjo est officiellement à la retraite et il a fêté ses 80 ans le 5 mars, à Abeokuta, sa ville natale dans le pays yoruba (sud-ouest du Nigeria). Mais en réalité, il possède un agenda aussi chargé que celui d'un chef d'Etat et n'a jamais été aussi actif politiquement.
Les médias nigérians ne parlent que de ça : la création d'un « mega parti » qui regrouperait les déçus des deux principaux mouvements : l'APC (All Progressives Congress, son candidat Buhari a gagné la présidentielle de 2015) et le PDP (Peoples Democratic Party, qui était au pouvoir depuis 1999). Avec, à la manœuvre, Olusegun Obasanjo, qui passe une grande partie de ses journées accroché à ses téléphones, à préparer des tractations politiques plus ou moins transparentes.
Les émancipations insupportables de Jonathan et Buhari
Même s'il n'a plus officiellement de fonctions politiques : Obasanjo reste un faiseur de roi. Le général en retraite a considérablement contribué à l'élection de Muhammadu Buhari en avril 2015. Il a aidé le candidat du nord à conquérir le pays yoruba (sud-ouest) du Nigéria qui était loin de lui être acquis.
Il a ainsi contribué à la chute de Goodluck Jonathan, l'homme qu'il avait porté au pouvoir. Désigné vice-président grâce à Obasanjo, Goodluck Jonathan est devenu officiellement président en 2010 à la mort d'Umaru Yar'Adua. Les relations entre Goodluck Jonathan et Olusegun Obasanjo s'étaient considérablement dégradées à partir du moment où Jonathan avait voulu voler de ses propres ailes et prendre ses distances avec son mentor : ce que celui-ci n'avait pas supporté. Il semble qu'il en aille de même aujourd'hui avec Buhari et qu'Obasanjo soit décidé à tenter d'empêcher la réélection de son nouveau « poulain » en 2019.
Au terme de son deuxième mandat en 2007, Obasanjo avait en vain tenté de faire modifier la Constitution pour en effectuer un troisième. Obligé de quitter le pouvoir plus tôt qu'il ne l'aurait souhaité, il aura joué un rôle essentiel dans l'accession à la présidence d'Umaru Yar'Adua. Obasanjo avait noué de longue date des relations très étroites avec sa famille. Il était très proche de son frère, Shehu Musa Yar'Adua, haut-gradé arrêté en même temps qu'Obasanjo en 1995 et décédé en détention en 1997 dans des conditions troubles.
Buhari, le dernier en date des « poulains » d'Obasanjo, est âgé de 74 ans. Tout comme Obasanjo, Buhari est un ex-dictateur qui se déclare « born again » de la démocratie. Les deux hommes ont participé ensemble à la guerre du Biafra (1967-1970). Leur vision du monde est bien loin de celle de la génération internet qui a grandi avec Facebook. La première fois qu'Obasanjo a pris le pouvoir, Jimmy Carter venait d'être élu à la présidence américaine... une lointaine époque. Carter est oublié de longue date, mais quarante ans plus tard, Obasanjo continue à faire la pluie et le beau temps dans le pays le plus peuplé du continent.
Obasanjo est réputé très proche de Washington
Plus que quiconque, Obasanjo a façonné la vie politique. Premier président élu avec le retour à la démocratie en 1999, réputé très proche de Washington, il a imposé un système politique qui ressemble étrangement à celui des Etats-Unis. Il s'agit d'un régime fédéral constitué de 36 Etats. Les gouverneurs élus exercent un pouvoir très important, tout comme les sénateurs. Le chef de l'Etat exerce un mandat de quatre ans.
Tout comme aux Etats-Unis, la vie politique est très coûteuse. Un candidat à la présidentielle doit dépenser des milliards de dollars pour se faire élire. Les enjeux financiers d'une élection sont donc considérables. Obasanjo étant lui-même un homme très riche et ayant nombre « d'amis » dans la même situation que lui, il est tout à fait à même de peser sur la désignation des candidats lors des primaires et sur l'issue du scrutin.
La course présidentielle est avant tout une compétition entre personnalités et réseaux. Les différences idéologiques entre les partis ne sautent pas aux yeux. Qui peut d'ailleurs les expliquer clairement ? L'idéologie est loin d'être au centre des préoccupations des partis. Les alliances ethniques jouent un rôle bien plus considérable que l'idéologie.
Président à sa sortie de prison
A ce petit jeu, Obasanjo est passé maître. D'autant plus que son ethnie joue un rôle pivot. Selon qu'elle s'allie aux nordistes, comme pendant la dernière présidentielle ou la guerre du Biafra, elle fait basculer le rapport de force. Au début du règne de Goodluck Jonathan, Obasanjo et ses alliés yoroubas soutenaient le président (issu du sud) ce qui lui a permis d'affermir son pouvoir.
Obasanjo a connu des moments difficiles, notamment lorsque le dictateur Abacha l'a condamné à la prison à vie en 1995. Il est resté incarcéré jusqu'à la mort de l'autrocrate en 1998. L'année suivante, il devenait président.
Aujourd'hui, le général continue à vouloir choisir le prochain président du pays, tout en gérant ses larges intérêts financiers qui vont des hôtels à l'agriculture. Il vient, par ailleurs, d'ouvrir une bibliothèque à l'image de celles des présidents américains. Elle comprend notamment un musée à sa gloire. Même son ancienne cellule a été reconstituée à l'identique, avec ses chaussures de sport de l'époque ou sa Bible.
Obasanjo ne fait plus qu'un avec l'Etat
Plus que jamais, il garde foi en son étoile, malgré le poids des ans. Certains observateurs attentifs de la vie politique affirment, d'ailleurs, qu'il est plus âgé que l'état civil ne le prétend. « Il s'est rajeuni pour rentrer dans l'armée. Sinon il aurait été touché par la limite d'âge », affirme l'un d'eux. Les mêmes rumeurs circulent à propos du président Buhari. A l'époque de leur naissance, l'état civil était une « science » nouvelle au Nigeria. Il était tentant de se rajeunir pour accéder à l'école ou à l'armée. Surtout lorsque l'on était comme eux issu de milieux très populaires et que l'on avait accédé sur le tard au système scolaire.
« Il est fascinant de constater que c'est la même génération qui est au pouvoir depuis quarante ans », note un homme d'affaires de Lagos. Au Nigeria, près de 70 % de la population a moins de trente ans. Cette génération a toujours été gouvernée par Obasanjo et ses obligés. Des communicants achetés à prix d'or aux Etats-Unis ont même réussi à « vendre », à cette même jeunesse en 2015, Buhari comme étant un « homme neuf », « l'homme du changement ». Aujourd'hui, les plus jeunes commencent à se poser des questions. Mais Obasanjo et ses amis militaires qui ont fait don de leur personne au pays depuis si longtemps, ne paraissent guère pressés de tirer leur révérence. Ils semblent avoir pris goût à l'idée de se sacrifier pour leur pays...
RFI
 
 

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