SUR LE SALAIRE DES ENSEIGNANTS
Un Economiste qui ne se préoccupe pas des problèmes concrets de son pays, qui se perd dans des
conceptions mystérieuses et d’étranges théories, n’est qu’un imposteur. L’Economiste anticipe, informe, met en garde et propose des projets concrets dans la société où il vit, indifférent aux sarcasmes des détracteurs professionnels et des ricaneurs de métier.
La terrible situation que vivent les enseignants aujourd’hui, avec 60 mois sans salaire, était prévisible et elle a été prévue par moi-même, dans toutes les chaînes de TV, les journaux, les radios. Elle traduit en réalité l’impécuniosité d’une Trésorerie incapable de répondre aux engagements de l’Etat et obligée d’arbitrer en payant ce que le Gouvernement estime comme priorité.
Et dans ces conditions, le salaire des enseignants ne leur apparait pas comme une priorité. Comme d’ailleurs, l’intégration des diplômés de l’ENAM dont certains attendent depuis 4 ans.
Ils ne peuvent devenir une priorité que s’ils protestent et menacent de tout casser, car au Cameroun, la menace est un critère de priorité.
Pendant des années, j’ai essayé de mettre en garde les Camerounais comme une terrible crise dont celle déclenchée en 1987 n’était qu’une misérable répétition. Au lieu de m’écouter, certains disaient : « Tu ne fais que réciter ton vieux discours rayé d’une crise, et pourtant le pays marche droit vers son émergence ! » D’autres disaient : « Il a faim ! »
Or, les choses étaient claires : un pays ne peut pas accumuler des déficits extérieurs, autrement dit, manger les biens des gens sans l’avoir à payer un jour. C’est impossible, car les autres pays ne sont pas nos esclaves pour nous donner leurs biens sans payer ! Le problème ici n’est pas le déficit en lui-même, mais son contenu : dans un pays qui évolue vers l’émergence, la première observation est la mutation de son commerce extérieur, avec les importations de biens de consommation qui sont progressivement remplacés par des biens d’équipement et de demi-produits (destinés à être transformés). Or, le déficit extérieur du Cameroun était nourri par plus de champagne et de vins de Bordeaux, plus de brocante, plus de pacotille chinoise, et plus de riz thaïlandais ! Quelle est cette incroyable croissance qui se nourrit de l’importation des biens d’usage courant ?
Le système était gravement malade et pour moi, nous allions vers un gouffre sans fond.
Ayant pris acte que je n’étais pas suivi, je suis allé plus loin : il y a 4 ans, je rencontrais un Ministre de la République, dans son Cabinet, avec un document intitulé : « La Monnaie-Trésor du Cameroun ». J’étais accompagné par un Directeur du MINEPAT, et lui il s’est fait assister par un de ses Conseillers Techniques.
Faisant la synthèse de mon document, je lui démontrai les faits suivants :
1. Le Cameroun allait vers une crise de liquidité ou d’endettement qui allait prendre des proportions exceptionnelles et une longueur singulières ;
2. Cette crise allait se déclencher entre 2016 et 2017 ;
3. Il existait une solution qu’il fallait appliquer immédiatement : il s’agissait d’émettre des Obligations du Trésor à Coupons Zéros, dans la même logique que ce qui avait été fait dans les années 1990 pour apurer la dette de l’Etat ;
4. Ces Obligations avaient les 2 caractéristiques traditionnelles des obligations, à savoir :
a. attendre leur terme, puis encaisser les intérêts ;
b. Aller vendre au marché secondaire, autrement dit, vendre n CFA, mais avec une importante décote.
5. Mais elles ajoutaient une troisième caractéristique, à savoir, que les bénéficiaire pouvait les utiliser comme une monnaie pour les biens et services contrôlés entièrement ou partiellement par l’Etat à leur valeur facile : impôts, électricité, eau, téléphone CAMTEL, amendes, péages, scolarité dans les Lycées et les Universités d’Etat, hospitalisation dans les hôpitaux d’Etat, chemin de fer, ciment CIMENCAM, huile, tôles, savons CCC, …
6. Le pouvoir d’achat sur les impôts et les biens stratégiques contrôlés par l’Etat allait s’étendre de manière automatique sur tous les biens produits localement ;
7. Les bons ainsi produits avaient les mêmes coupons que le CFA.
Quel était l’intérêt de cette solution ?
1. Créer une liquidité très vertueuse, très fiable, équivalente au CFA, mais qui ne présentait pas le risque d’être exportée pour déséquilibrer le déficit courant, source de l’illiquidité du système ;
2. Créer une politique monétaire nouvelle, en jouant simplement sur les deux masses monétaires
3. Restaurer la politique commerciale, en créant un marché captif, en faveur des biens produits localement, en leur ménageant un pouvoir d’achat additionnel qui renforçaient leur compétitivité dans des proportions considérables ;
4. Utiliser le dispositif financier actuel, sans avoir besoin d’entraîner des bouleversements majeurs ;
5. Disposer d’une nouvelle politique de subvention efficace, avec notamment la possibilité de subventionner de manière vertueuse l’architecture (par soutien des prix avec ce pouvoir d’achat additionnel), et la production manufacturière
6. Créer une politique de la demande, en augmentant régulièrement les salaires des agents publics et en restaurant la bourse.
Les impacts de cette démarche étaient les suivants :
1. Un nouveau système productif, très efficace sans violer les engagements extérieurs (APE, OMC), ni remettre en cause des dispositifs comme le CFA ;
2. Un Etat plus liquide, avec un budget plus réaliste et une marge de manœuvre importante ;
3. une croissance de 8%, mais équilibrée et pourvoyeuse d’emplois de qualité, sans déficit courant ;
4. Un tissu dense de PME/PMI dans le domaine industriel, artisanal et agricole ;
5. Une économie très attractive pour les IDE.
J’ajoutais que cette binarisation de l’économie camerounaise n’était pas un programme économique, mais un instrument de normalisation qui permettait au système productif d’évoluer sans plus être entravé par sa mauvaise articulation à l’économie internationale. La binarisation n’excluait donc pas la nécessité d’un programme rationnel, mais elle le rendait possible.
Après m’avoir écouté, le Ministre nous congédia avec beaucoup politesse, ajoutant avec un ricanement moqueur que peut-être le Gouvernement recourait un jour à « votre » solution.
En réalité, dans mon combat d’Economiste, je me suis rendu compte que j’étais opposé à deux groupes de personnes.
Le premier groupe est constitué du Gouvernement, de son administration et de tous ceux qui rôdent autour du pouvoir. Ils passent leur temps à ânonner les mêmes recettes apparues dans les discours depuis le premier jour de l’Indépendance, à savoir : chercher le financement, développer l’agriculture, investir, améliorer la gouvernance, lutter contre la corruption, former le capital humain, etc.
Ils ne se rendent pas compte qu’ils récitent un vieux disque rayé, un vieux discours tenu par les 200 chefs d’Etat d’Afrique Noire et leurs milliers de ministres, sans compter des millions de collaborateurs depuis l’indépendance il y a plus de 50 ans. Et qui a échoué partout ! Un échec aussi systématique, dans des circonstances aussi variées et par des gens aussi différents auraient dû leur faire comprendre que ces programmes qui paraissent conformes au bon sens sont des illusions, leur réussite étant techniquement impossible pour des raisons d’ordre macroéconomique, l’une d’entre elles étant le Verrou de la Contrepartie Extérieure, autrement dit, la tendance des Africains à évacuer à l’extérieur toute augmentation du pouvoir d’achat.
L’autre groupe est constitué de tous ces révolutionnaires du dimanche, nostalgiques des combats anticoloniaux et qui s’imaginent que la colère, la dénonciation ou l’opposition hystérique suffisent à changer le cours de l’histoire.
Totalement déconnectés de la réalité, ils semblent oublier que nous sommes en Mars 2017 et qu’en Mars 2017, il y a des problèmes qu’il faut résoudre maintenant.
Certains renvoient le développement du Cameroun à une monnaie continentale, au mépris des contraintes d’une monnaie unique dans des pays divergents et politiquement segmentaires. Et du reste, à supposer même que l’Afrique finisse par accepter ce genre d’initiatives et en faisant abstraction de la complexité technique, cela mettra combien de temps ? Et pendant ce temps, que ferons-nous des enseignants qui veulent leur salaire aujourd’hui, des médecins qui menacent de grever ? Nous allons attendre le siècle où une telle initiative va se passer ?
Mais la frange la plus folle, la plus schizophrène est celle qui s’est trouvé dans la lutte anti-CFA leur champ de bataille. Ignorants tout des théories monétaires, incapables de comprendre la signification du dispositif, ses forces et ses limites, ils récitent comme une mécanique détraquée leur hostilité : « Sortons du CFA ! Sortons du CFA ! »
Pour aller où ? Pour faire quoi ? A maintes reprises, j’ai expliqué qu’un pays sous-développé qui dépend presque en tout de ses approvisionnements en produits manufacturés ne peut faire autre chose que d’avoir une variante locale d’une monnaie extérieure, que cal lui plaise ou non. Sortir du CFA pour créer le NKAP ou toute autre nom, c’est simplement changer le nom du CFA, car il n’est pas possible de faire autrement. Avec certes, plus de liberté, mais aussi plus de risque.
D’ailleurs, l’information que le RDPC est entrain de créer une monnaie nationale est déjà suffisante pour détruire cette monnaie : des gens qui ont montré qu’ils sont incapables de résister devant les ressources financières du budget, peut-on leur confier décemment un planche à billets ?
L’Economie d’un pays, ce n’est pas un jeu, dans lequel de parfaits détraqués viennent éructer leurs hallucinations. Il s’agit de la vie de millions de citoyens qui ont des problèmes à court terme, à moyen terme et à long terme.
Vous ne pouvez pas résoudre les problèmes d’aujourd’hui avec des solutions de long terme, et c’est cela la différence entre l’économiste qui vit sur terre aujourd’hui et les idéologues qui vivent dans les nuages dans les siècles passés et les millénaires à venir.
La solution actuelle du Cameroun est la binarisation du CFA. C’est cette solution qui a des effets immédiats, capables de résoudre les problèmes actuels d’illiquidité du Trésor, des salaires impayés, de l’absence d’argent et de l’emploi.
Quoiqu’il se fasse un peu tard, on peut encore sauver le Cameroun de la terrible crise qui est déjà à nos portes, la Monnaie-Trésor va raccourcir la crise et avant deux ans, reconduire le Cameroun dans les années 1980 où les gars vivaient 100 à l’heure.
C’est une mesure qu’on prend et qu’on met en place en moins de deux jours. D’ailleurs, lors d’une Conférence au MINEPAT, un des hauts responsables avaient solennellement dit qu’on n’avait pas besoin d’une loi ou d’un décret présidentiel pour créer la Monnaie-Trésor, un simple arrêté du Ministre des Finances étant suffisant.
C’est cela la solution et elle ne coûte absolument rien ; elle est réversible, divisible et redoutablement efficace. Les autres solutions, qu’elles émanent du Gouvernement ou des Révolutionnaires, vont nous conduire à l’abîme.
L’Economie est une science du contexte : il faut mener aujourd’hui les combats d’aujourd’hui et renvoyer à demain les combats de demain.
Binarisez le Cameroun et les portes de l’enfer vont se refermer, pendant que s’ouvrirons les portes de la vraie croissance.
Nti Dieudonné ESSOMBA
Président de l’Ecole Africaine de l’Economie Contemporaine
(Institut TCHUNDJANG)
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